Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/270

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fondre toutes les infirmités[1], et cela sans aucun adoucissement. Par Jupiter ! Hermogène, je n’y songerai même pas ; mais si, en exposant librement tous les avantages que je crois tenir des dieux et des hommes, ainsi que l’opinion que j’ai de moi-même, je dois offenser les juges, j’aimerai mieux mourir que de mendier servilement la vie et de me faire octroyer une existence beaucoup plus affreuse que la mort. »



II

Réfutation des accusations de Mélétus. — Socrate démontre son innocence et l’impiété de ses accusateurs.


C’est d’après cette résolution, selon Hermogène, que, quand ses ennemis l’accusèrent de ne point reconnaître les dieux de l’État, d’introduire des extravagances démoniaques et de corrompre les jeunes gens[2], il s’avança et dit : « Ce qui tout d’abord, citoyens, m’a surpris dans l’accusation de Mélétus, c’est le grief sur lequel il établit que je ne reconnais pas les dieux de l’État : tout le monde indistinctement m’a pu voir sacrifier dans les fêtes solennelles et sur les autels publics, et Mélétus lui-même, s’il l’a voulu. Maintenant, comment prétendre que j’introduis des extravagances démoniaques, quand je dis que la voix d’un dieu se fait entendre à moi pour m’indiquer ce que je dois faire ? Car ceux qui tirent des présages du chant des oiseaux ou des paroles des hommes se laissent évidemment influencer par des voix. Personne ne peut nier que le tonnerre ne soit une voix, et même le plus grand de tous les augures. N’est-ce pas enfin par la voix que la prêtresse de Pytho, sur le trépied, manifeste la volonté du dieu ? Or, que ce dieu ait la connaissance de l’avenir et qu’il le révèle à qui il veut, voilà ce que je dis et ce que tous disent et pensent avec moi. Seulement ils appellent cela des augures, des voix, des symboles, des présages, et moi je l’appelle démon ; et je crois, par cette dénomination, user d’un langage plus vrai et plus pieux que ceux qui attribuent aux oiseaux la puissance des dieux. Et la preuve que je ne mens point contre la divinité, la voici : toutes

  1. Horace a dit de même : « Multa senem circumveniunt incommoda, » Art poétiq., v. 169.
  2. Cf. Platon, Apolog., iii et xi.