Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/274

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chanté dans des hymnes plus magnifiques qu’Ulysse qui le fit périr injustement. Je suis sûr que l’avenir aussi bien que le passé me rendront ce témoignage, que jamais je n’ai fait de tort à personne, ni jamais rendu personne plus vicieux, tandis que je rendais service à ceux qui conversaient avec moi, en leur enseignant sans rétribution tout ce que je pouvais de bien. » Après avoir ainsi parlé, il sortit sans que rien en lui démentit son langage ; ses yeux, son attitude, sa démarche, conservant la même sérénité[1].



III


Socrate console ses amis : son mot plaisant à Apollodore ; sa prédiction relative au fils d’Anytus.


Comme il s’aperçut que ceux qui l’accompagnaient fondaient en larmes : « Qu’est-ce donc ? leur dit-il ; c’est à présent que vous pleurez ? Ne saviez-vous pas depuis longtemps qu’au moment même de ma naissance la nature avait prononcé l’arrêt de ma mort[2] ? Et cependant, si je mourais avant l’âge, entouré de toutes les jouissances, il est certain que ce serait un motif d’affliction pour moi et pour ceux qui m’aiment[3] ; mais si je termine ma carrière quand je n’ai plus que des maux à attendre, ce doit être un sujet de joie pour vous tous. »

Il y avait là un certain Apollodore[4], extrêmement affectionné à Socrate, homme simple du reste, qui lui dit : « C’est pour moi, Socrate, une chose tout à fait insupportable de te voir mourir injustement. » Alors Socrate, dit-on, lui passant légèrement la main sur la tête : « Mais toi, mon cher Apollodore,

  1. C’est l’attitude qu’Horace prête à Régulus retournant à Carthage. Voy. Horace, ode v du livre III, v. 41 et suivants.
  2. Cf. Montaigne, Essais, I, xix. « C’est la condition de vostre création, c’est une partie de vous que la mort ; vous vous fuyez vous-mesmes. Cestuy vostre estre, que vous jouyssez, est également party à la mort et à la vie. Le premier jour de vostre naissance vous achemine à mourir comme à vivre… » Et plus haut : « À celuy qui disoit à Socrates : « Les Athéniens t’ont condamné à la mort. — Et nature, eulx, » répondit-il. »
  3. Cf. le discours de Germanicus mourant à ses amis dans Tacite, Annal., II, LXXI.
  4. On peut ajouter au témoignage de Xénophon, sur l’attachement de cet Apollodore pour Socrate celui de Platon (Phèdre, § 2 et 66) et celui de Plutarque dans la vie de Caton d’Utique, § 10.