Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/294

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dont je bois sans soif[1]. D’ailleurs, il est beaucoup plus juste de considérer plutôt la simplicité que la somptuosité des mets. Ceux qui, en effet, se contentent de ce qu’ils ont, ne convoitent pas le bien des autres. Il est encore à propos d’observer qu’une semblable richesse inspire l’indépendance. Socrate que voici, et qui m’a procuré cette fortune, ne calculait, ne pesait jamais avec moi, mais tout ce que je pouvais emporter, il me le donnait. Et moi, maintenant, loin d’être jaloux de mon opulence, je la montre à tous mes amis, et je partage avec qui veut les richesses de mon âme. Il est encore une possession bien douce, le loisir, que vous me voyez posséder tous, et qui me permet de voir ce qui mérite d’être vu ou d’entendre ce qui mérite d’être entendu, et enfin, ce que je prise par-dessus tout le reste, de passer à l’école de Socrate des journées entières. Or, Socrate n’admire pas avant tout ceux qui comptent des sommes d’or, mais ceux qui lui plaisent : c’est avec ceux-là qu’il passe sa vie. »

Ainsi parla Antisthène. Alors Callias : « Par Junon, dit-il, il y a bien des choses qui me font envie dans ta fortune, mais c’est surtout de ce que la république ne te commande point comme à un esclave, et que les hommes, quand tu ne prêtes pas, ne s’emportent point contre toi. — Par Jupiter, reprit Nicératus, ne lui porte point envie : je vais lui emprunter l’avantage de n’avoir besoin de rien. Instruit par Homère à compter

Sept trépieds veufs du feu, vingt cuvettes brillantes,
Et puis dix talents d’or, et puis douze chevaux[2] ;


toujours calculant et comptant, je ne cesse de soupirer après de plus grandes richesses, et peut-être quelques-uns me trouveront-ils trop intéressé. » À ce mot, tout le monde éclate de rire, pensant qu’il venait de dire la vérité.

Mais un autre continuant l’entretien : « C’est à toi, Hermogène, dit-il, de nous faire connaître quels sont tes amis, de nous prouver qu’ils sont puissants, et cependant qu’ils te ne négligent point, et l’on verra par là si tu as raison d’en être fier. — Les Grecs et les barbares, dit alors Hermogène, croient que les dieux voient tout, le présent et l’avenir ; c’est un fait reconnu. Aussi toutes les villes et toutes les nations recourent-elles à la divination, pour interroger les dieux sur ce

  1. Cf. Lucien, les Amours, 27. Thase était une île située près de la côte de Thrace dans la mer Égée.
  2. Voy. Iliade, IX, 122 ; cf. Iliade, VIII, 290, et XIII, 13.