Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/298

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


CHAPITRE V.


Discussion plaisante entre Critobule et Socrate.


Alors Callias : « Et toi, Critobule, dit-il, est-ce que tu ne disputeras pas à Socrate le prix de la beauté ? — Oh ! que non pas, dit Socrate : l’entremetteur a trop de crédit auprès des juges ; il le voit bien. — Cependant, reprit Critobule, je ne refuse point : allons, si tu as de bonnes raisons, prouve que tu es plus beau que moi. — On n’a tout simplement qu’à approcher une lampe[1]. Je vais néanmoins procéder à l’interrogatoire ; réponds. — Et toi, interroge. — Crois-tu que la beauté existe dans l’homme seul ou dans d’autres objets encore ? — Je crois, ma foi, qu’elle existe dans un cheval, dans un bœuf et dans beaucoup d’objets inanimés : ainsi l’on dit un beau bouclier, une belle épée, une belle lance. — Mais comment peut-il se faire que tant d’êtres si dissemblables soient également beaux ? — S’ils sont bien adaptés par l’art ou par la nature à la destination que nous voulons leur donner dans l’usage, ils sont beaux, dit Critobule[2]. Sais-tu pourquoi nous avons besoin d’yeux ? — Évidemment, c’est pour voir. — Cela étant, il se peut faire que mes yeux

  1. Passage controversé : nous avons suivi la donnée la plus naturelle.
  2. Cf. Mém., III, viii. Voici du reste un passage qui éclaire parfaitement cette théorie : « Les saints Pères eux-mêmes, lorsqu’ils parlent de la beauté humaine, nous la représentent avec les mêmes caractères que Socrate et Aristote : Rien n’est beau que ce qui est bon. Ce principe fondamental se retrouve à chaque instant dans leurs ouvrages. Lactance, à l’exemple d’Hippocrate et de Galien, a composé un de ses écrits les plus éloquents, pour en faire la démonstration sur chacune des parties du corps de l’homme : saint Ambroise, saint Grégoire de Nysse, Théodoret, et les autres Pères, dès qu’ils parlent du corps humain, ne négligent pas de le rappeler. La plupart d’entre eux nous reproduisent ces pensées riantes ou profondes des anciens philosophes : « Aucun corps n’est beau, s’il n’est conformé de la manière la plus convenable à sa destination. Qu’est-ce que le beau ? Ce qui est en tout point désirable. Un des caractères de la beauté du corps est d’offrir des signes de la beauté de l’âme. Tu es belle, mon amie, tu es belle comme la vertu. » La beauté ne saurait exister sans la symétrie et l’ordre ; et le est plus admirable dans un tout que dans ses parties. Le beau accompli consiste dans l’unité homme ; qui es-tu pour te flatter de te connaître ? Dieu seul voit l’unité absolue ; seul il est l’unité : faible créature, qu’il te suffise d’apprécier le convenable. Là est le beau pour toi, le seul beau dont puisse jouir ta nature mortelle. » Émeric David, Hist. de la peinture au moyen âge, édit. Charpentier, p. 15 et 16.