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CHAPITRE VI.


Discussion entre Hermogène, Socrate, Callias, le Syracusain, Antisthene et Philippe.


Au même moment, les uns pressent Critobule de se faire donner le baiser de la victoire ; les autres, d’en demander la permission au Syracusain ; les plaisanteries se croisent ; Hermogène se tait ; alors Socrate l’apostrophant : « Pourrais-tu nous dire, Hermogène, ce que c’est que παροινία[1] ? — Ce que c’est ? répond Hermogène ; je n’en sais rien, mais je puis te dire ce que je crois. — Dis-le. — Avoir le vin insupportable pour les convives, voilà ce que je crois être παροινία. — Or, sais-tu que, toi aussi, tu es insupportable par ton silence ? — Est-ce donc lorsque vous parlez ? — Non ; mais quand nous cessons. — Ignores-tu donc qu’il n’y a pas moyen d’intercaler, je ne dis pas un mot, mais un cheveu dans votre conversation ? » Alors Socrate : « Callias, dit-il, n’y a-t-il pas moyen que vous veniez en aide à un battu ? — J’arrive, dit Callias ; dès que la flûte résonne, nous gardons tous le silence. — Voudriez-vous donc, reprend Hermogène, qu’à l’exemple du comédien Nicostrate, qui récitait ses tétramètres au son de la flûte, ce fût également au son de la flûte que je m’entretinsse avec vous ? — Au nom des dieux, repart Socrate, fais-le, Hermogène. De même qu’un chant est plus doux avec la flûte, de même tes discours, soutenus par ces sons, auront plus de douceur, surtout si tu sais, comme cette joueuse de flûte, accompagner du geste tes paroles. » Alors Callias : « Eh bien, lorsque Antisthène aura quelqu’un à reprendre dans le banquet, de quel instrument à vent se servira-t-on ? — Pour un homme à reprendre, dit Antisthène, je ne vois rien qui convienne mieux que le sifflet. »

Au milieu de cette conversation, le Syracusain s’aperçut que les convives négligeaient son spectacle et s’amusaient entre eux. Jaloux de Socrate : « N’est-ce pas toi, Socrate, lui dit-il, qu’on appelle le songe-creux ? — Il serait plus juste, répond Socrate, de m’appeler le songe-peu[2]. — Oui, si tu ne passais

  1. Ivresse, excès de vin, insulte faite dans le vin.
  2. J’ai tâché de donner une idée de l’antithèse railleuse que présentent en grec φροντιστής et ἀφρόντιστος.