Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/307

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noré par les dieux. Autre part, Nicératus, Achille est représenté dans Homère vengeant glorieusement la mort de Patrocle, non comme d’un amant, mais comme d’un ami. Oreste et Pilade, Thésée et Pirithoüs, et tant d’autres demi-dieux illustres, ne sont pas célébrés pour avoir partagé le même lit, mais pour avoir associé leur tendresse dans de grandes et belles entreprises[1]. Et maintenant encore ne trouvera-t-on pas tous les beaux exploits accomplis par des hommes prêts à tout souffrir, à tout braver pour la gloire, plutôt que par ceux qui ont accoutumé de préférer le plaisir à la renommée ? Cependant, Pausanias, amant du prêtre Agathon[2], a dit pour la défense de ceux qui se vautrent dans la fange de ces plaisirs, qu’une armée d’amants et de mignons serait invincible parce que, selon lui, tous rougiraient de s’abandonner[3]. Propos étrange ! Quoi ! des hommes insensibles au blâme, accoutumés à ne plus rougir entre eux, craindraient de se déshonorer par une lâcheté ? Il allègue comme témoignage les Thébains et les Éléens[4] élevés dans ces principes. Quoiqu’ils couchent ensemble, cependant, d’après lui, les amants sont rangés ensemble dans le même corps de bataille. Mais ce n’est point là une assertion légitime, puisque ce qui est autorisé chez eux est chez nous opprobre. À mes yeux, des gens qui se rangent ainsi dans la même bataille ont l’air de craindre que les amants, séparés les uns des autres, ne fassent pas leur devoir d’hommes de cœur. Les Lacédémoniens, au contraire, persuadés qu’en s’attachant au corps, on ne pense plus à rien de beau et de bon, font de ceux qu’ils aiment des gens si braves que, même avec des étrangers, même séparés de leur amant et dans une autre ville, ils rougiraient d’abandonner leur compagnon d’armes[5]. C’est que leur divinité n’est point l’Impudeur, mais la Pudeur[6]. Il me semble

  1. Voy. sur l’amitié, outre les passages connus des auteurs classiques tels que Cicéron, Lucien dans son Toxaris, etc., un beau chapitre de Valère Maxime, liv. IV, chap. vii.
  2. Poëte comique et tragique, contemporain de Sophocle et d’Euripide. Il avait composé, entre autres, une pièce toute d’invention appelée la Fleur, dont Aristote fait l’éloge dans sa Poétique, IX.
  3. Cf. Plutarque, Pélopidas, 48.
  4. Voy. Élien, Hist. diverses, XIII, 5.
  5. Voy. Id. Ibid., III, 4 2, et cf. Xénophon, Gouvern. des Lacédém., II.
  6. Il y avait réellement en Laconie et en Attique une statue de la Pudeur. Voy. Pausanias, Lacon., XX, § 40. — Cf. le même auteur, Attic., XVII, 4. Mais il paraît qu’il y avait également dans cette contrée une statue de l’Impudeur, élevée d’après les conseils du crétois Épiménide. L’allusion de Socrate est alors très-nette. — Cf. Cicéron, De legibus, II, xi.