Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



CHAPITRE II.


La tyrannie est une brillante misère[1].


À ces mots, Simonide reprit : « Mais c’est peu de chose, selon moi, que ce que tu dis là. Je vois, pour ma part, des gens fort considérés, qui savent d’eux-mêmes se retrancher sur le boire, le manger, la bonne, chère et s’abstenir même des plaisirs amoureux. Mais voici en quoi vous l’emportez de beaucoup sur les particuliers ; vous formez de grands projets et vous les exécutez vite, vous avez tout en abondance, vous vous procurez les meilleurs chevaux, les plus belles armes, les plus riches parures pour vos femmes, les palais les plus magnifiques, ornés des meubles les plus précieux ; vous avez des serviteurs distingués par leur nombre et leur intelligence ; enfin, vous êtes plus que personne en état de faire du mal à vos ennemis et du bien à vos amis. — Oui, reprit Hiéron ; que le gros des hommes, Simonide, se laisse tromper par les dehors de la tyrannie, je ne m’en étonne pas ; car c’est surtout par les yeux que la foule me paraît juger du bonheur et de la misère des autres. Or, la tyrannie étale à tous les regards des biens qui semblent d’un grand prix, elle en fait montre et parade ; tandis que les tyrans enferment leurs peines au fond de leur âme, où réside, en effet, le bonheur ou le malheur des hommes. Que ce soit donc là, comme je l’ai dit, un mystère pour la foule, je n’en suis pas surpris. Mais que vous l’ignoriez, vous qui semblez voir plus clairement les objets par les yeux de l’esprit que par ceux du corps, c’est ce qui me paraît extraordinaire. Pour moi, l’expérience m’a prouvé, Simonide, et je te le dis, que les tyrans ont la moindre portion des plus grands biens et la plus large part des plus grands maux. Par exemple, si la paix est un grand bien pour les hommes, les tyrans en jouissent peu ; et si la guerre est un grand mal, c’est sur eux qu’elle pèse. Les particuliers, à moins que leur pays tout entier ne soit en guerre,

  1. On peut comparer avec ce chapitre et avec les suivants quelques traités ou dialogues, dans lesquels Lucien n’a pas ménagé la tyrannie et les tyrans, notamment la Traversée, le Tyrannicide, le Songe ou le Coq, le Navire ou les Souhaits. — Cf. pour la défense de la tyrannie, le second Phalaris du même auteur.