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tyrannie[1], une foule de tyrans mis à mort par leurs femmes[2] et par ceux de leurs intimes dont ils se croyaient le plus aimés. Si donc ceux que la nature et la loi obligent le plus fortement à aimer les tyrans les haïssent à ce point, le moyen de supposer que d’autres les aiment ? »



CHAPITRE IV.


Suite du précédent. — Gêne des tyrans au milieu de leurs richesses.


« D’un autre côté, celui qui n’a pas la moindre confiance, n’est-il pas privé d’un grand bien ? Quel charme peut offrir l’intimité sans la confiance ? Sans la confiance, quel bonheur dans l’union de l’homme et de la femme ? Comment trouver agréable un serviteur dont on se défie ? Or, il n’est personne au monde qui puisse avoir moins de confiance qu’un tyran : il est toujours en défiance de ce qu’il mange ou de ce qu’il boit ; et, avant même d’en faire une offrande aux dieux, il le fait goûter par ses serviteurs, parce que sa défiance a peur de rencontrer du poison dans le manger ou dans le boire.

« Un bien des plus précieux pour les hommes, c’est la patrie : les citoyens d’une même ville se gardent les uns les autres, sans solde, contre les esclaves ; ils se gardent contre les scélérats, afin que nul d’entre eux ne périsse de mort violente. Et l’on a poussé si loin la précaution, qu’en plusieurs lieux la loi ordonne de réputer impur tout homme qui converse avec un meurtrier. Ainsi, chaque citoyen vit en sûreté sous la protection de sa patrie ; mais, pour les tyrans, c’est encore absolument le contraire. Bien loin que les villes vengent leur mort, elles accordent de très-grands honneurs au tyrannicide[3] ; et, loin de leur interdire les choses sacrées, comme aux meurtriers des particuliers, elles élèvent des statues dans les temples aux auteurs de ces exploits[4].

  1. Étéocle et Polynice.
  2. Alexandre de Phères tué par sa femme Thébé. Cf. Helléniq., VI, iv, et Lucien, Icaroménippe, 4 5.
  3. Voy. Lucien, le Tyrannicide.
  4. Xénophon a dans l’esprit Harmodius et Aristogiton, meurtriers d’Hipparque, fils de Pisistrate.