Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/411

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salut et à la perte de l’État. Ainsi de tels hommes assurent avec leur propre bien celui de tous les particuliers. Beaucoup de ceux auxquels l’envie qui les aveugle fait tenir un pareil langage, aimeraient mieux périr victimes de leur lâcheté que de devoir la vie au courage d’un autre. C’est qu’il y a mille honteux plaisirs dont l’esclavage les condamne à dire et à faire ce qu’il y a de pire ; leurs discours inconsidérés engendrent les haines, leurs actes criminels appellent les maladies, les châtiments, la mort sur leur tête, sur celles de leurs enfants, de leurs amis : indifférents au vice, mais plus sensibles que personne aux plaisirs, qui pourrait leur confier le salut de l’État ?

Il n’est personne qui ne se mette à l’abri de ces désordres en se passionnant pour l’exercice dont je fais l’éloge. En effet, l’honnête éducation du chasseur lui apprend à respecter les lois, à s’entretenir et à entendre parler de ce qui est juste. Ceux donc qui se livrent à un travail continu, et qui aiment à se former par des connaissances, par des exercices laborieux, sauvent encore leur patrie ; tandis que ceux qui, par dégoût du travail, ne veulent point s’instruire, mais vivent dans une volupté effrénée, sont des êtres dépravés. Ni lois ni bons conseils ne les trouvent dociles : ennemis du travail, ils ignorent quel doit être l’homme de bien ; de sorte qu’ils ne sont ni religieux ni sages : et comme ils n’ont aucune instruction, ils ne cessent de blâmer ceux qui sont instruits. Avec de tels hommes rien ne prospère, au lieu que les gens de bien procurent à la société tous les avantages : d’où il suit que ceux-là sont meilleurs, qui veulent travailler.

Je l’ai prouvé par un grand exemple. Ces anciens disciples de Chiron, dont j’ai rappelé le souvenir, en se livrant, dès leur jeunesse, aux exercices de la chasse, ont acquis de nombreuses et belles connaissances ; et c’est ainsi qu’ils sont parvenus à cette haute vertu qui excite à présent encore notre admiration. Or, il est clair que tout le monde aime la vertu : mais comme il faut la conquérir par des travaux, beaucoup l’abandonnent. Ils ne voient pas, en effet, s’ils y parviendront, mais ils voient la peine qu’il leur en doit coûter. Peut-être, si la vertu avait un corps visible, les hommes la négligeraient-ils moins, certains qu’ils en seraient vus, comme ils la verraient elle-même. Ainsi, quand on est près de l’objet aimé, on devient meilleur ; on ne dit, on ne fait rien de honteux, rien de mal, dans la crainte d’être vu. Mais ayant la pensée que la vertu n’observe,