Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/51

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On ne peut rien ajouter à cet éloge, né d’une admiration qui va jusqu’aux larmes. Il faut dire cependant que Dion, ayant en vue de former un orateur, ne loue guère de Xénophon que son éloquence, et laisse un peu dans l’ombre les autres mérites de notre historien. En effet, sans parler de sa modestie, de sa persévérance, de sa piété, de son héroïsme, quel admirable talent de peintre, quelle vérité naïve dans ses caractères, dans ses portraits, dans ses récits ! Est-il rien de plus attachant que la narration de la bataille de Cunaxa, rien qui soit en même temps plus précis, plus net, plus rapide et plus détaillé ? « Plusieurs historiens, dit Plutarque, ont raconté cette bataille ; mais Xénophon, entre autres, la décrit si vivement qu’on croit y assister et non la lire, et qu’il passionne ses lecteurs comme s’ils étaient au milieu du péril, tant il la rend avec vérité et énergie. »

Est-il un épisode historique qui offre plus d’intérêt que celui des pourparlers qui s’établissent entre Artaxercès, Tïssapherne et les chefs de l’armée grecque, Cléarque, notamment, qui se montre partout si fier et si digne, un vrai soldat ? Avec quelle admirable vérité sont décrites les alertes, les alarmes, les terreurs soudaines, puis les espérances, les joies, toutes les alternatives enfin, par lesquelles passe cette foule impressionnable et mobile d’Arcadiens, d’Achéens et de Thraces, que l’appât du gain, le désir des aventures ou quelque peine judiciaire a entraînés loin de leur patrie à la solde de Cyrus ! Comme le pinceau rude et sévère de Salvator Rosa trouverait à s’exercer au milieu de cette collection de condottieri, pour ne pas dire de bannis et d’outlaws, dont Xénophon reproduit au vrai les physionomies, les mœurs, les passions multiples et changeantes ! Combien il a besoin de tout le flegme, de toute la raison, de toute l’adresse d’un disciple de Socrate, pour imposer à ces natures brusques et sauvages, au moment où le meurtre de Cléarque et des autres stratèges le crée chef improvisé de cette multitude sans guide, sans ressources, en proie au découragement, presque sans espoir. Il se montre, du reste, à la hauteur de ce