Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/83

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pourrai lui demander combien il vend ? — Passe pour cela, dit Chariclès ; mais tu as la manie, Socrate, d’interroger toujours sur ce que tu sais ; épargne ici tes questions. — Ainsi, je ne répondrai pas à un jeune homme qui me demanderait si je sais où demeure Chariclès, où est Critias ? — Passe encore pour cela, » dit Chariclès. Alors Critias : « Oui, Socrate, il faudra laisser là les cordonniers, les charpentiers et les forgerons : il y a longtemps qu’ils sont excédés de figurer sans cesse dans tes entretiens. — Eh bien ! dit Socrate, je laisserai donc là tout ce qui s’ensuivait, le juste, le saint et le reste ? — Oui, par Jupiter, dit Chariclès, et même les bouviers : autrement, prends garde de diminuer à ton tour le nombre des bœufs. » Ces mots faisaient bien voir qu’on leur avait rapporté le propos au sujet des bœufs et qu’ils en voulaient à Socrate.

Quelle avait donc été la liaison de Critias et de Socrate, et quelles étaient leurs dispositions mutuelles, nous l’avons exposé. Pour moi, je n’hésite point à dire qu’il n’y a pas d’enseignement possible avec un maître qui ne plaît pas. Or, Critias et Alcibiade passèrent auprès de Socrate tout le temps qu’ils y voulurent passer, sans que Socrate leur plût, mais avec l’idée préconçue et bien arrêtée de gouverner l’État, et, tant qu’ils vécurent auprès de Socrate, ils s’efforcèrent, avant tout, de converser avec ceux qui étaient mêlés aux affaires politiques.

Ainsi l’on dit qu’Alcibiade, avant l’âge de vingt ans, eut avec Périclès, son tuteur et le premier citoyen d’Athènes, cette conversation au sujet des lois[1] : « Dis-moi, Périclès, pourrais-tu m’apprendre ce que c’est qu’une loi ? — Assurément, dit Périclès. — Apprends-le-moi donc, au nom des dieux, reprit Alcibiade ; car j’entends louer certains hommes de leur respect pour les lois, et je pense qu’on ne saurait mériter cet éloge sans savoir ce que c’est qu’une loi. — Tu désires, Alcibiade, une chose fort aisée, dit Périclès, si tu veux savoir ce que c’est qu’une loi : on appelle loi toute délibération en vertu de laquelle le peuple assemblé décrète ce qu’on doit faire ou non. — Et qu’ordonne-t-il de faire, le bien ou le mal ? — Le bien, jeune homme, par Jupiter ! et le mal jamais. — Et, lorsqu’au lieu du peuple, c’est, comme dans une oligarchie, une réunion de quelques personnes qui décrète ce qu’il faut faire, comment cela s’appelle-t-il ? — Tout ce que le pouvoir qui

  1. Voy., sur cette conversation, un article de M. Villemain dans la Revue des Deux-Mondes du 1er janvier 1858.