Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/209

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fonction d’introduire auprès d’Astyage ceux qui demandaient à le voir, et d’éloigner ceux qu’il ne jugeait pas à propos de laisser entrer. Cyrus à l’étourdie, et comme un enfant qui n’a peur de rien : « Pourquoi donc, grand-père, estimes-tu ainsi celui-là ? » Alors Astyage dit en se raillant : « Ne vois-tu pas comme il verse le vin avec adresse et avec élégance ? » Or, les échansons de ces rois sont d’habiles échansons ; ils versent proprement, et, prenant la coupe avec trois doigts, ils la donnent et la présentent de manière à la placer commodément aux mains de celui qui la prend pour boire. « Commande donc à Sacas, grand-père, dit Cyrus, de me donner la coupe, afin que, moi aussi, je te verse bien à boire, et que je gagne aussi ton cœur si je puis. » Astyage la lui fait donner. Cyrus prend la coupe, la rince proprement comme il avait vu faire à Sacas, puis, faisant son visage, il apporte et tend la coupe à son grand-père de l’air le plus sérieux et le plus gracieux du monde, si bien que sa mère et Astyage se prennent à éclater de rire. Cyrus rit à son tour, saute vers son grand-père, l’embrasse et dit : « Ô Sacas ! tu es perdu : je t’évince de ta fonction : je serai en tout meilleur échanson que toi, et je ne boirai pas le vin comme tu fais. » En effet, les échansons des rois, quand ils donnent la coupe, y puisent avec le cyathe et versent dans leur main gauche un peu de vin qu’ils avalent : de la sorte, s’ils y versaient du poison, ils n’en seraient pas plus avancés[1]. Sur ce propos, Astyage dit en plaisantant : « Eh bien, Cyrus, puisque tu imites si bien Sacas, pourquoi n’as-tu pas avalé du vin ? — Parce que j’ai craint, par Jupiter, qu’il n’y eût du poison dans la coupe. Le jour où tu as régalé tes amis pour célébrer ta naissance, je me rappelle bien que Sacas vous en a versé. — Et comment donc, garçon, as-tu su cela ? — Parce que, par Jupiter, je vous ai vus tous chopper d’esprit et de corps. Et d’abord ce que vous ne nous laissez pas faire à nous enfants, vous le faisiez. Vous criiez tous ensemble ; vous ne faisiez pas attention à ce que vous disiez les uns des autres, vous chantiez d’une façon ridicule, et, sans entendre celui qui chantait, vous juriez qu’il chantait à ravir. Chacun de vous vantait sa force ; et cependant, quand il fallut se lever pour danser, loin de pouvoir danser en mesure, vous ne pouviez pas même vous tenir debout. Vous aviez oublié complètement, toi que tu étais roi, et les autres que tu

  1. Pour cette fonction du προγεύστης ou esclave dégustateur, cf. Tacite, Annales XII, lxvi.