Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/210

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étais leur souverain. C’est alors que moi, pour la première fois, j’ai appris ce que c’est que l’égalité de la parole, car vous ne vous taisiez pas un seul instant. » Astyage lui dit : « Et ton père, garçon, quand il boit, est-ce qu’il ne s’enivre pas ? — Non, par Jupiter ! — Alors, comment fait-il ? — Il cesse d’avoir soif ; mais il ne s’en trouve point mal. C’est, je pense, grand-père, parce qu’il n’a pas de Sacas qui lui verse du vin. » Alors sa mère lui dit : « Mais pourquoi donc, garçon, fais-tu ainsi la guerre à Sacas ? — Parce que, ma foi, dit Cyrus, je le déteste. Souvent, quand je veux aller voir mon grand-père, ce scélérat m’en empêche. Mais je t’en prie, grand-père, laisse-moi lui commander pendant trois jours. — Et que lui commanderais-tu, dit Astyage ? — Comme lui, dit Cyrus, je me tiendrais près de l’entrée, et, quand il voudrait aller dîner chez le roi, je lui dirais : « Ce n’est pas possible d’aller dîner ; le roi est en affaire avec quelques personnes ; » puis, quand il viendrait pour souper, je lui dirais : « Le roi est au bain ; » et, s’il avait encore plus hâte de manger, je lui dirais : « Il est chez les femmes. » Enfin je le vexerais, comme il me vexe, quand il m’empêche d’aller chez toi. » C’est ainsi que Cyrus leur donnait des divertissements durant le repas. Le jour, s’il s’apercevait que son grand-père ou le frère de sa mère avait besoin de quelque chose, il eût été difficile de le prévenir pour le leur donner ; tant Cyrus était enchanté de pouvoir leur rendre service.

Or, quand le temps fut venu que Mandane devait retourner auprès de son mari, Astyage la pria de lui laisser Cyrus. Elle répondit qu’elle désirait en tout être agréable à son père, mais qu’elle croyait difficile de laisser l’enfant malgré lui. Astyage dit donc à Cyrus : « Garçon, si tu restes avec moi, d’abord Sacas ne t’empêchera plus d’entrer chez moi, mais quand tu voudras entrer, cela dépendra de ta volonté : et même plus tu viendras, plus je t’en saurai gré. Ensuite tu te serviras de mes chevaux et de tant d’autres que tu voudras, et, quand tu t’en iras, tu emmènera ceux qu’il te plaira. Et puis encore, au repas, pour arriver à ce qui te paraît frugal, tu suivras la voie qui te fera plaisir. Et puis enfin, je te donne les bêtes qui sont actuellement dans le parc, et j’en ferai rassembler d’autres de toute espèce, afin que, dès que tu sauras monter à cheval, tu aies le plaisir de les poursuivre et de les tuer à coups de flèches ou de javelots, comme les grandes personnes. Je te donnerai aussi des enfante de ton âge pour jouer avec toi : et, si tu veux autre chose, tu n’as qu’à me le dire, rien ne te manquera. »