Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/227

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Quelle est alors la nation d’alentour qui ne s’empresse de te venir en aide soit par désir de te plaire, soit par crainte d’éprouver quelque mal ? Tu dois te concerter avec Cyaxare pour qu’il ne te manque rien de ce qu’il faut avoir ; et pour le courant, te ménager des ressources assurées. Mais retiens-moi bien ce point-ci, le plus essentiel de tous : il ne faut jamais attendre pour te procurer le nécessaire que la nécessité t’y oblige ; mais quand tu seras surtout dans l’abondance, songe à te munir contre la disette. Car, moins tu paraîtras avoir besoin de ce que tu demandes, plus tu l’obtiendras facilement ; tes soldats n’auront rien à te reprocher, et de plus tu obtiendras le respect des autres. Si tu veux, selon ton pouvoir, faire du bien ou du mal à quelqu’un, tant que tes soldats auront le nécessaire, ils t’obéiront plus vite, et, sache-le bien, tu trouveras des paroles plus persuasives, quand on verra que, de plus, tu es en état de faire, si tu veux, du bien ou du mal. — Tout ce que tu dis, mon père, me paraît fort juste : ajoutons que ce que les soldats vont, dit-on, recevoir aujourd’hui, il n’y en a pas un qui m’en saura gré. Car ils savent à quelle condition Cyaxare les fait venir pour alliés ; tandis que, s’ils reçoivent de moi la moindre chose, ils regarderont cela comme un honneur et ils en sauront, j’en suis sûr, un gré infini à celui qui leur aura donné. Quand on a une armée avec laquelle on peut servir ses amis à charge de revanche, et essayer de punir ses ennemis, et quand on néglige de se procurer des ressources, n’est-ce pas, selon toi, aussi honteux que d’avoir des champs, d’avoir des travailleurs pour y travailler et de laisser la terre en friche et inutile ? Aussi, pour ma part, jamais je ne négligerai le moyen de donner le nécessaire à mes soldats, soit en pays ami, soit en pays ennemi ; tu peux en être certain.

— Mais n’y a-t-il pas, mon garçon, d’autres choses que nous croyions nécessaires de ne pas négliger ? T’en souviens-tu ? — Comment aurais-je oublié le jour où je vins te demander de l’argent pour payer les leçons de celui qui prétendait m’avoir donné des leçons de stratégie ? En me le donnant, tu me fis à peu près cette question : « Dis-moi, mon garçon, l’homme à qui tu portes cet argent, t’a-t-il parlé de l’économie comme rentrant dans les devoirs d’un général ? Car enfin les soldats n’ont pas moins besoin de choses nécessaires, que les domestiques dans une maison. » Et lorsque, te disant la vérité, je te répondis qu’il ne m’en avait pas dit un mot, tu me demandas s’il m’avait touché quelque chose de la santé et de la vigueur, comme préoccu-