Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/251

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quand tu nous proposes cette question : tu feux éprouver s’il y a un homme capable, si c’est là son idée, de ne faire aucun acte bel et bon, et de prétendre à une part égale à celle que d’autres auront acquise par leur valeur. Or, pour ce qui est de moi, je ne suis ni agile des pieds, ni robuste des mains ; je sais qu’à me juger aux œuvres de mon corps, je ne puis être estimé ni le premier, ni le second, ni le millième, je crois, ni peut-être même le dix-millième. Mais je sais positivement que, si les hommes vigoureux se mettent résolument à l’œuvre, j’aurai ma part de quelque avantage, et aussi grande que le veut la raison, tandis que, si les lâches ne font rien, et si les vaillants, les capables se découragent, je crains fort de n’avoir qu’une part plus large que je ne voudrais de toute autre chose que du bien. »

Ainsi parle Chrysantas. Après lui, Phéraulas se lève : c’était un Perse de la classe des plébéiens, homme, depuis longtemps, familier et agréable à Cyrus, bien fait de corps, et d’une Âme qui l’égalait aux gens de la noblesse, il s’exprime ainsi : « Pour ma part, Cyrus et vous tous Perses qui m’écoutez, il me semble que nous pouvons tous nous élancer du même point vers le prix de la valeur. Je vois que nous nous développons tous le corps par une nourriture semblable, qu’on nous accueille tous dans les mêmes compagnies, qu’on nous enseigne à tous la même direction vers le bien ; nous obéissons aux mêmes chefs, entre nous tout est en commun ; celui qui s’acquitte de ses devoirs sans murmurer est en honneur auprès de Cyrus : la valeur déployée contre les ennemis n’est pas le privilège plus de l’un que de l’autre, c’est aux yeux de tous la plus belle de toutes les qualités. Quant aux moyens de combattre, que je vois suggérés à tous les hommes par la nature, chacun des animaux les connaît également, et ils n’ont pas eu d’autres maîtres que la nature elle-même : ainsi le bœuf frappe de la corne, le cheval du sabot, le chien de la gueule, le sanglier du boutoir. Tous les êtres donc savent se garder de ce dont ils doivent avant tout se défendre, et cela, sans avoir jamais été à l’école de personne. Moi-même, lorsque j’étais tout enfant, je savais me défendre de tout ce que je croyais pouvoir me frapper. Je me servais de mes mains, quand je n’avais pas d’autre arme, pour me garantir contre celui qui voulait me battre : et certes je le faisais sans l’avoir appris, puisque même on me frappait quand je portais les mains en avant. Étant enfant, partout où je voyais un sabre, je le saisissais et personne autre que la nature, ainsi que je le dis, ne m’avait appris par où il fallait le prendre.