Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/329

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nom les instruments de son art et les remèdes qu’il emploie ; et qu’un général eût assez peu d’intelligence pour ignorer les noms de ses officiers, qui sont les instruments nécessaires dont il use pour attaquer ou pour se défendre, pour inspirer la confiance ou la terreur. Voulait-il faire honneur à quelqu’un, il lui paraissait convenable de l’appeler par son nom : il était persuadé que des hommes, qui se croient connus du général, ont plus d’ardeur à se faire remarquer par quelque action d’éclat et d’empressement à ne rien faire qui les déshonore. Il trouvait ridicule qu’un général, quand il a des ordres à donner, fît comme certains maîtres de maison, qui disent : « Qu’on aille à l’eau ! qu’on fende du bois ! » À de pareils commandements tout le monde se regarde, personne ne fait ce qu’on demande, et, quoique tous soient en faute, personne ne rougit, personne ne craint, parce que cette faute est commune. Voilà pourquoi Cyrus appelait par leur nom tous ceux auxquels il donnait un ordre, et telle était sur ce point sa manière de voir.

Dès que les soldats ont terminé leur repas et posé des sentinelles, ils réunissent tous leurs bagages et vont dormir. Vers minuit, la trompette sonne. Cyrus dit à Chrysantas de se tenir sur la route à la tête de l’armée, et il est accompagné de ses officiers particuliers. Bientôt Chrysantas arrive, suivi des thoracophores ; Cyrus lui donne des gardes et lui prescrit d’avancer lentement, jusqu’à ce qu’il soit arrivé un messager : car toutes les troupes n’étaient pas encore en mouvement. Pour lui, demeurant sur la route, il fait ranger les soldats à mesure qu’ils avancent, et envoie presser les retardataires.

Quand tout le monde est en marche, il dépêche des cavaliers pour en donner avis à Chrysantas, et lui dit : « Marche plus vite. » Et lui-même alors pousse son cheval vers la tête de la colonne, examinant sans rien dire la marche des différents corps. Quand il voit des soldats qui s’avancent en bon ordre et en silence, il s’approche d’eux, leur demande leur nom et les félicite ; s’il remarque ailleurs de la confusion, il essaye d’en démêler la cause et d’y remédier. J’oubliais de parler d’une de ses précautions durant cette nuit. Il avait fait précéder toute l’armée d’un peloton de gens hardis et dispos, qui pouvaient voir Chrysantas et en être vus : ils devaient l’avertir de tout ce qu’ils entendraient et découvriraient. Cette troupe était commandée par un officier chargé de les équiper et de transmettre à Chrysantas les avis importants, sans le fatiguer de rapports inutiles. Ainsi se fit la marche de cette nuit.