Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mèdes, des Arméniens et des Hyrcaniens, ainsi que les mieux montés et les mieux armés des autres auxiliaires, et va au-devant de Cyaxare pour lui montrer l’état de ses forces. Cyaxare, voyant Cyrus suivi de cette troupe de beaux et bons soldats, tandis qu’il n’a pour cortège qu’une troupe peu imposante, se sent humilié et conçoit un violent chagrin. Cyrus descend de cheval et s’avance vers lui pour lui donner le baiser d’usage : Cyaxare descend également, mais il se détourne et, au lieu de donner le baiser, il fond en larmes devant tout le monde. Alors Cyrus fait retirer un peu tous ceux qui l’accompagnent, prend Cyaxare par la main droite, le conduit sous quelques palmiers, y fait étendre des tapis médiques, le prie de s’asseoir, s’assied à ses côtés, et lui parle ainsi : « Dis-moi donc, au nom des dieux, cher oncle, pourquoi ce courroux contre moi ? Qu’as-tu ni de chagrinant qui te donna l’humeur ? » Cyaxare répond : « Il y a, Cyrus, que moi qui, de mémoire d’homme, ai des rois pour aïeux, fils de roi, roi moi-même, je me vois arrivé ici en triste équipage, tandis que toi, entouré de mes serviteurs et de mes troupes, tu parais ici grand et magnifique. Je crois qu’il serait dur de subir cet affront d’un ennemi : or, par Jupiter ! il est plus dur encore venant de ceux de qui on ne devait pas l’attendre. Oui, j’aimerais mieux être à cent pieds sous terre que d’être vu dans cet abaissement, et de voir les miens m’abandonner et faire de moi un objet de risée : car je n’ignore pas, ajoute-t-il, que non-seulement tu es plus grand que moi, mais que mes esclaves eux-mêmes sont au-dessus de ma puissance, quand ils viennent au-devant de moi, et qu’ils sont plus en état de m’offenser que moi de les punir. » En disant ces mots, il peut encore moins retenir ses larmes, à et point que Cyrus ne peut empêcher ses yeux d’en être remplis. Cependant, suspendant un instant ses pleurs, Cyrus lui dit :

« Non, non, Cyaxare ; tu ne dis point vrai, et tu juges mal, si tu crois que ma présence autorise les Mèdes à te faire insulte. Cependant je ne suis point surpris de ta colère ; seulement est-elle juste ou non, je ne l’examinerai point : peut-être, je le crois, ne souffrirais-tu qu’avec peine d’entendre ce que je dirais pour les justifier. Toutefois, la colère d’un chef qui s’emporte indistinctement contre tous ceux qui lui sont soumis, me parait une grande faute. Il faut, en effet, que, s’il en effraye beaucoup, il se fasse beaucoup d’ennemis, et s’il s’emporte contre tous ensemble, c’est les inviter à n’avoir qu’un seul et même sentiment. Voilà pourquoi, sois-en certain, je ne t’ai pas envoyé