Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/351

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que j’ai deux âmes : c’est une philosophie que vient de m’enseigner l’amour, ce dangereux sophiste : car enfin une seule et même âme ne peut être à la fois bonne et mauvaise, aimer à la fois le bien et le mal, vouloir tout ensemble une chose et ne la vouloir point. Oui, sans contredit, nous avons deux âmes ; quand la bonne est maîtresse, elle fait le bien ; quand c’est la mauvaise, elle fait le mal : maintenant que ma bonne âme est forte de ton secours, elle a sur l’autre un empire absolu. » — Si donc tu es décidé à partir, reprend Cyrus, voici ce que tu dois faire pour mieux obtenir la confiance des ennemis : fais-leur part de nos projets, mais ne leur en découvre que ce qu’il faut pour déconcerter les leu-s : or, tu les déconcerteras, si tu dis que nous nous préparons à une invasion sur leur territoire ; en apprenant cela, ils auront moins de cœur à se concentrer sur un même point, chacun d’eux craignant pour son propre pays. Demeure avec eux le plus longtemps possible : car c’est lorsqu’ils seront le plus près de nous que nous aurons le plus besoin de te voir. Engage-les à choisir même l’ordre de bataille le plus fort. Tu le connaîtras bien sans doute quand tu viendras nous rejoindre, et il faudra bien qu’ils l’adoptent ; un changement entraînerait le désordre de toute l’armée. » Araspe sort, prend avec lui ses plus fidèles serviteurs, et, après avoir dit à quelques-uns ce qu’il croit favorable à son dessein, il part.

Cependant Panthéa, apprenant le départ d’Araspe, envoie dire à Cyrus : « Ne te chagrine point, Cyrus, de ce qu’Araspe est passé aux ennemis. Si tu me permets de députer à mon mari, je te promets qu’il t’amènera en lui un ami plus dévoué qu’Araspe, et qu’il viendra, j’en suis certaine, suivi d’autant de troupes qu’il en aura pu rassembler. Le père du roi actuel était son ami, tandis que le roi actuel a tout fait pour semer la discorde entre mon mari et moi ; aussi, je ne doute pas que celui-ci, qui le regarde comme un homme sans mœurs, ne l’abandonne volontiers à un homme tel que toi. » Cyrus, entendant ces mots, la presse d’envoyer un messager auprès de son mari, et elle l’envoie.

Abradatas, reconnaissant les chiffres de sa femme, et apprenant ce qui se passe, se rend volontiers auprès de Cyrus, suivi d’environ deux mille chevaux. Arrivé au premier poste des Perses, il en fait donner avis à Cyrus, qui le fait aussitôt conduire chez sa femme. Dès que Panthéa et Abradatas s’aperçoivent, ils se jettent dans les bras l’un de l’autre avec toute la joie d’un bonheur inespéré. Panthéa raconte alors la pureté des mœurs