Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/418

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j’éprouvais quelque embarras à parler de moi, il les leur proposait comme une idée de lui. Qui m’empêche de dire, après cela, qu’il m’a souvent mieux servi que je ne me servais moi-même ? J’ajouterai qu’il est toujours content de ce qu’il a, et qu’on le voit travailler sans cesse à mes intérêts ; enfin, ce qui m’arrive d’heureux le rend plus fier et plus joyeux que je ne puis l’être. — Par Junon ! Cyrus, reprend Hystaspe, je suis ravi de t’avoir fait ma question. — Et pourquoi ? dit Cyrus. — Parce que je vais m’efforcer d’en faire autant : un seul point m’embarrasse : à quels signes verra-t-on que je me réjouis du bien qui far-rive ? Faut-il battre des mains, rire ou faire quelque autre chose ? — Danser la persique ! » dit Artabaze. De là un rire général.

Le repas se prolongeant, Cyrus dit à Gobryas : « Dis-moi, Gobryas, marierais-tu plus volontiers ta fille à quelqu’un de ceux que tu vois ici, que tu ne l’aurais fait quand tu vins nous joindre pour la première fois ? — Dois-je aussi, dit Gobryas, te dire la vérité ? — Oui, par Jupiter, dit Cyrus ; une question n’appelle pas un mensonge. — Sache donc bien que j’y consentirais aujourd’hui plus volontiers. — Et pourrais-tu me dire pourquoi ? — Certainement. — Dis-le donc. — Parce qu’alors j’avais vu ces hommes supporter bravement les fatigues et les dangers, et qu’aujourd’hui je les vois supporter modestement la prospérité : or, il est plus difficile selon moi, Cyrus, de trouver un homme qui supporte mieux le bonheur que le malheur : le bonheur d’ordinaire engendre l’insolence, et le malheur la modestie. — Entends-tu, Hystaspe, le mot de Gobryas ? — Oui, par Jupiter ; et, s’il en dit souvent de pareils, je rechercherai sa fille avec plus d’empressement que s’il étale à mes regards beaucoup de vases précieux. — Ma foi ! dit Gobryas, j’ai mis par écrit beaucoup de maximes semblables dont je ne te priverai pas, si ta prends ma fille pour femme ; quant aux coupes, comme tu n’as pas l’air de les rechercher, je ne sais si je ne dois pas les donner à Chrysantas, qui, aussi bien, t’a déjà enlevé ta place. » Alors Cyrus, prenant la parole : « Hystaspe, dit-il, et vous tous qui êtes ici, quand vous voudrez vous marier, adressez-vous à moi ; vous verrez comme je vous servirai. — Et si quelqu’un veut marier sa fille, dit Gobryas, à qui devra-t-il s’adresser ? — Encore à moi, dit Cyrus ; j’ai pour cela un talent particulier.— Lequel ? dit Chrysantas. — Celui de savoir assortir les mariages. — Au nom des dieux, dis-moi, réplique Chrysantas, quelle femme me conviendrait le mieux. — D’abord il te la faut petite ; car tu