Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/444

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butin. Son talent de général se révéla surtout au moment où la guerre étant déclarée, et la ruse, par cela même, devenant juste et autorisée[1], il montra que Tissapherne n’était qu’un enfant en fait de ruses, tandis que lui profitait sagement de l’occasion pour enrichir les villes alliées. On avait fait des prises si considérables, que tout se vendait à vil prix : il avertit donc ses alliés de venir acheter, les prévenant qu’il ne tarderait pas à conduire son armée vers la mer ; en même temps il recommanda aux vendeurs d’inscrire sur leurs registres le prix de chaque effet vendu et de le livrer ensuite ; de sorte que les alliés, n’ayant rien déboursé jusqu’alors, réalisèrent de grands profits, sans nuire au trésor public. De plus, chaque fois que des transfuges, suivant l’habitude, en passant aux troupes du roi, s’offraient à guider les convois d’argent, il disposait tout pour les faire enlever par ses alliés, qui trouvaient là tout ensemble profit et gloire ; et cette conduite ne tarda pas à lui faire beaucoup d’amis[2].

Convaincu de plus qu’une armée ne saurait tenir longtemps dans un pays ruiné et désert, tandis qu’elle trouve toujours de quoi vivre dans une région peuplée et cultivée, il ne cherchait pas seulement à soumettre les ennemis par les armes, mais à les gagner par sa modération. Aussi recommandait-il souvent à ses soldats de ne pas traiter les prisonniers en criminels, mais de les ménager comme des hommes. Parfois même, lorsqu’il levait le camp, s’il s’apercevait que les marchands y laissaient de petits enfants, que beaucoup vendaient dans l’embarras de les porter et de les nourrir, il veillait à ce qu’on les conduisît en

  1. De Pauw, dans ses Recherches historiques sur les Grecs, n’admet point, et avec raison, selon nous, cet emploi de la ruse dans les transactions, ni même dans les hostilités. Son jugement sur Agésilas se ressent de cette exclusion formelle de toute espèce de procédé entaché de dol et de fourberie. Voici, du reste, ce qu’il dit du roi de Sparte. C’est un contre-poids à ce que l’éloge de Xénophon peut offrir, en quelques passages, de louange enthousiaste et excessive ; « On distingue ordinairement parmi le vulgaire des Spartiates, le roi Agésilas, parce que Xénophon, entraîné alors dans le parti de Lacédémone, a fait un éloge très-fastidieux de ce prétendu héros, qui ne fût jamais dans la réalité qu’un brigand insigne Toutes ses expéditions en Asie et en Égypte n’eurent, de l’aveu même de ses panégyristes, d’autre but que d’amasser de l’argent par le pillage et la déprédation. Il rapporta de la Lydie, de la Phrygie et de l’Égypte douze cent vingt talents, c’est-à-dire près de six millions de livres, sans compter la solde et l’entretien de ses troupes, qui vécurent partout à discrétion sur le territoire des ennemis ou de ceux qu’un appelait ainsi. »
  2. Passage difficile et controversé.