Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais sacrilège, quiconque désobéirait à des lois sanctionnées par le dieu pythien.



CHAPITRE IX.


Comment Lycurgue accoutume les Spartiates à mépriser la mort.


Ce qui mérite d’être encore admiré dans Lycurgue, c’est d’avoir su faire préférer par ses concitoyens une belle mort à une vie honteuse. Et certes, à bien examiner la chose, on verra que des hommes nourris de ces principes sont moins exposés à perdre la vie que ceux qui aiment mieux se dérober aux dangers : tant il est vrai de dire qu’une conséquence de la valeur, c’est de faire vivre plus longtemps que la lâcheté, vu qu’elle est plus forte, plus féconde en ressources. Il est également certain que la gloire est une conséquence de la valeur, et l’on voit que tout le monde se plaît à s’allier aux braves. Or, comment Lycurgue est-il parvenu à inspirer ces sentiments ? c’est ce qu’il est intéressant de ne pas omettre.

Ce grand homme a préparé formellement le bonheur des braves et le malheur des lâches. Dans les autres républiques, quand un homme est lâche, on se contente de l’appeler lâche[1] ; du reste le lâche se promène sur l’agora à côté du brave, il s’assied, il s’exerce avec lui, s’il le veut. À Lacédémone, on rougirait d’avoir un lâche pour compagnon de table, de l’avoir pour lutteur dans une palestre. D’ordinaire, un pareil homme, quand on se divise en groupes pour la paume, est exclu de l’un et de l’autre parti ; dans les chœurs, on le relègue aux rangs méprisés ; dans les rues, il doit céder le pas ; dans les assemblées, se lever même devant le plus jeune ; garder chez lui ses filles ; leur faire subir la honte du célibat ; voir lui-même son foyer privé d’épouse, et cependant payer l’amende pour ce grief ; ne passe promener frotté d’huile ; ne pas se donner l’air d’un homme bien famé, sous peine de recevoir des coups de ceux qui valent mieux que lui. Pour moi, quand je vois cette infamie infligée aux lâches, je ne m’étonne pas qu’à Sparte on préfère la mort à une vie de mépris et de déshonneur.

  1. Les Lacédémoniens donnaient le nom particulier de τρέσας au citoyen qui s’était ainsi rendu méprisable par sa lâcheté.