Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/282

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Palais-Royal : la dépense doit être énorme, et cependant personne ne sait de source certaine par qui elle est supportée. On donne dans les boutiques autant de pétards et de serpenteaux pour douze sous qu’on en aurait eu pour cinq livres en temps ordinaire. Nul doute que ce ne soit aux frais du duc d’Orléans. On tient ainsi le peuple dans une perpétuelle fermentation, toujours assemblé, toujours prêt à se jeter dans les hasards lorsqu’il y sera appelé par les hommes auxquels il a confiance. Naguère il aurait suffi d’une compagnie de Suisses pour étouffer tout cela, a présent il faudrait un régiment mené avec vigueur ; dans quinze jours, c’est à peine si une armée y réussira. Au théâtre, mademoiselle Contat m’a enchanté dans le Misanthrope de Molière. C’est vraiment une grande actrice, réunissant l’aisance, la grâce, le port, la beauté, à l’esprit et à l’âme. Molé a joué Alceste d’une manière admirable. Je ne prendrai pas congé du Théâtre-Français sans lui donner encore une fois la préférence sur tout ce que j’ai vu.

Je quitterai Paris, toutefois, heureux de l’assurance que les représentants du peuple ont sans conteste dans leurs mains le pouvoir d’améliorer tellement la constitution du pays, que désormais les grands abus y soient, sinon impossibles, au moins d’une extrême difficulté à établir ; que, par conséquent, ils fonderont une liberté politique entière, et s’ils y réussissent, qu’ils mettront à profit mille occasions de doter leurs compatriotes du bienfait inappréciable de la liberté civile. L’état des finances place en fait le gouvernement sous la dépendance des états et assure ainsi leur périodicité. D’aussi grands bienfaits répandront le bonheur chez vingt-cinq millions d’hommes, idée noble et encourageante qui devrait animer tout citoyen du monde, quels que soient