Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/285

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Le 29 — Nangis. Le château appartient au marquis de Guerchy, qui, l’an dernier, à Caen, m’avait fait promettre, par ses instances amicales, de passer quelques jours ici. Une maison presque remplie d’hôtes, dont quelque-uns fort agréables, l’ardeur de M. de Guerchy pour la culture, et l’aimable naïveté de la marquise sur ce point comme sur ceux de la politique et de la vie commune, étaient ce qu’il fallait pour me relever. Mais je me trouvai dans un cercle de politiques avec lesquels je ne pus m’accorder que sur une chose, les souhaits d’une liberté indestructible pour la France ; quant aux moyens de l’obtenir, nous étions aux pôles opposés. Le chapelain du régiment de M. de Guerchy, qui a ici une cure et que j’avais connu à Caen, M. l’abbé de…, se montrait particulièrement très porté pour ce que l’on appelle la régénération du royaume, impossible d’entendre par cela, suivant ses explications, autre chose qu’une perfection théorique de gouvernement, douteuse à son point de départ, risquée dans son développement et chimérique quant à ses fins. Elle m’a toujours eu l’air suspect, parce que tous ses avocats, depuis les meneurs de l’Assemblée nationale dans leurs pamphlets jusqu’aux messieurs qui me faisaient actuellement son panégyrique, affectaient tous de faire bon marché de la constitution anglaise en ce qui touche à la liberté. Comme elle est, sans aucun doute et selon leurs propres aveux, la meilleure que le monde ait encore vue, ils déclarent en appeler de la pratique à la théorie, chose très admissible (toutefois avec précaution) dans une question de science ; mais qui, pour l’établissement de l’équilibre des nombreux intérêts d’un grand royaume, des garanties de la liberté de vingt-cinq millions d’hommes, me partait être le comble de l’imprudence, la quintessence de l’égarement. Mes arguments roulaient sur la