Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/384

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La ville, les navires, la haute montagne sur laquelle ils se détachent, les collines couvertes de plantations et de bastides, s’unissent pour former un coup d’œil admirable. Quant aux îles d’Hyères et au tableau des côtes dont je devais jouir, la personne qui me les avait vantés manquait ou d’yeux ou de goût : ce sont des rochers nus où les pins donnent seuls l’idée de la végétation. N’étaient quelques maisons solitaires et ici et là quelque peu de culture pour varier l’aspect de la montagne, je me serais imaginé, à cet air sombre, sauvage et morne, avoir devant les yeux les côtes de la Nouvelle-Zélande ou de la Nouvelle-Hollande. Les pins et les buissons d’arbustes toujours verts la couvrent de plus de tristesse que de verdure. Débarqué le soir à Cavalero, que je m’imaginais être au moins une petite ville : il n’y a que trois maisons et plus de misère qu’on ne peut se l’imaginer. On me jeta un matelas sur les dalles de la chambre, car il n’y avait pas de lit ; pour me refaire de la faim que je venais d’endurer tout le jour, on ne me donna que des oeufs couvés, de mauvais pain et du vin encore pis ; quant aux mules qui devaient me mener à Fréjus, il n’y avait ni cheval, ni mule ni âne, rien que quatre bœufs pour le labourage. Je me voyais dans une triste position, et j’allais me décider à remonter à bord quoique le vent commençât à n’être rien moins que favorable, si le capitaine ne m’avait promis deux de ses hommes pour porter mon bagage à deux lieues de là, dans un village où je trouverais des bêtes de somme ; cette assurance me fit retourner à mon matelas.

Le 13. — Le capitaine m’a envoyé trois matelots, un Corse, le second à moitié Italien, le troisième Provençal, ne possédant pas à eux tous assez de français pour