Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/387

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Le 15. — Moi, mon guide féminin et l’âne, nous cheminâmes joyeusement à travers la montagne ; le malheur était que nous ne nous entendions pas, je sus seulement qu’elle avait un mari et trois enfants. J’essayai de connaître si ce mari était bon et si elle l’aimait beaucoup ; mais impossible d’en venir à bout ; peu importe, c’était son âne qui me servait, et non pas sa langue. À Estrelles je pris des chevaux de poste : il n’y avait ni ânes, ni femmes pour les conduire, sans cela je les aurais préférés. Je ne saurais dire combien est agréable pour un homme qui marche bien, une promenade de quinze milles quand on en a fait mille assis dans une voiture. Toujours ce même vilain pays, montagne sur montagne, ces mêmes broussailles, pas un mille en culture sur vingt. Les jardins de Grasse font seuls exception, on y fait de grands mais bien singuliers travaux. Les roses sont la principale culture, pour la fabrication de l’essence que l’on suppose venir du Bengale. On dit que quinze cents fleurs n’en donnent qu’une goutte, vingt fleurs se vendent un sol et une once d’essence 400 livres (17 liv. st. 10 sh.) Les tubéreuses se cultivent pour les parfumeurs de Paris et de Londres. Le romarin, la lavande, la bergamote, l’oranger forment ici de grands objets de culture. La moitié de l’Europe tire d’ici ses essences. La situation de Cannes est jolie, tout près du rivage, avec les îles Sainte-Marguerite, où se trouve une affreuse prison d’État, à deux milles en mer, et à l’horizon, les lignes pittoresques des montagnes d’Estrelles. Ces montagnes sont de la dernière nudité. Dans tous les villages depuis Toulon, à Fréjus. Estrelles, etc, j’ai demandé du lait, il n’y en a pas, même de chèvre ou de brebis ; quant au beurre, l’aubergiste d’Estrelles me dit que c’était un article qui venait de Nice en contrebande.