Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/388

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Grands Dieux ! quelles idées nous nous faisons, nous autres gens du Nord, avant de les avoir connus, d’un beau soleil, d’un climat délicieux, qui produisent les myrtes, les orangers, les citronniers, les grenadiers, les jasmins et les haies d’aloès ; si l’eau y manque, ce sont les plus grands déserts du globe. Dans nos bruyères, nos tourbières les plus affreuses, on a du beurre, du lait, de la crème : que l’on me donne de quoi nourrir une vache, je laisserai de bon cœur les orangers de la Provence. La faute, cependant, en est plus aux gens qu’au climat ; et comme le peuple ne peut pas faire de fautes, lui, jusqu’à ce qu’il devienne le maître, tout est l’effet du gouvernement. On trouve dans ces déserts les arbousiers (Arbutus) ; le laurier-tin (Laurus tinus), les cistes (Cistus) et le genêt d’Espagne. Personne à l’auberge, excepté un marchand de Bordeaux, revenant d’Italie. Nous soupâmes ensemble, et notre entretien ne fut pas dénué d’intérêt : « il était triste, disait-il, de voir le mauvais effet de la révolution française en Italie, partout où il avait passé. — Malheureuse France ! » s’écriait-il souvent. Il me fit beaucoup de questions et me dit que ses lettres confirmaient mes récits. Tous les Italiens semblaient convaincus que la rivalité de l’Angleterre et de la France était finie ; la première était maintenant pleinement à même de se venger de la guerre d’Amérique par la prise de Saint-Domingue et de toutes les autres possessions de la France outre-mer. Je lui dis que cette idée était pernicieuse et tellement contraire aux intérêts personnels des hommes du gouvernement d’Angleterre, qu’il n’y fallait pas penser. Il me dit que nous serions merveilleusement magnanimes de ne pas le faire, et que nous donnerions là un exemple de pureté politique suffisant à éterniser la partie de notre caractère que l’on croyait