Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/407

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Le 5. — L’adresse présentée hier au roi par l’Assemblée nationale lui a fait honneur auprès de tous. Je l’ai entendu louer par des gens de toute opinion. Elle avait trait à la fixation de la liste civile. On avait arrêté d’envoyer au roi une députation pour le prier d’en déterminer le montant, en consultant moins son goût pour l’économie que le sentiment de la dignité dont il convient d’entourer le trône. Dîné avec le duc de Liancourt, dans les appartements des Tuileries, qui, au retour de Versailles, lui ont été assignés comme grand maître de la garde-robe : deux fois la semaine il donne un grand dîner aux députés, il en vient de vingt à quarante. On avait fixé trois heures et demie, mais j’attendis avec quelques députés, qui avaient quitté l’Assemblée, jusqu’à sept heures, que le duc arriva avec le reste des convives.

Il y a dans l’Assemblée un écrivain de valeur, auteur d’un très bon livre, dont j’attendais quelque chose au-dessus de la médiocrité ; mais il est plein de tant de gentillesse, que j’en fus ébahi en le voyant. Sa voix est le murmure d’une femme, comme si ses nerfs ne lui permettaient pas un exercice aussi violent que de parler assez haut pour se faire entendre ; quand il soupire ses idées, c’est les yeux à demi fermés ; il tourne la tête de côté et d’autre comme si ses paroles devaient être reçues comme des oracles, et il a tant de laisser-aller et de prétentions à l’aisance et à la délicatesse sans avantages personnels qui secondent ses gentillesses, que j’admirai par quel art on avait formé un tel ensemble d’éléments hétérogènes. N’est-il pas étrange de lire avec ravissement le livre d’un auteur, de se dire : Cet homme est complet, tout se tient chez lui, il n’y a point de cette boursouflure, de ces niaiseries si communes chez les autres, et de trouver tant de petitesse !