Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/126

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Léonora Galigaï avait avidement recueilli cette effroyable description. Lorsque le nain se tut, elle poussa un profond soupir et s’absorba dans la sinistre rêverie de l’affreuse vengeance entrevue. Lorenzo tenait ses petits yeux vifs obstinément fixés sur le minuscule flacon qu’il avait déposé sur la table.

"Lorenzo, dit enfin Léonora, ta composition est un chef-d’œuvre. Tu seras dignement récompensé."

Le marchand d’herbes sourit et haussa les épaules.

"La composition que j’ai remise à Rinaldo n’est qu’un jeu d’enfants, dit-il. Il n’y a pas une bohémienne d’Égypte qui ne la connaisse. Vous parlez de chef-d’œuvre... J’en ai un... Celui-là est vraiment une merveille ; c’est moi qui l’ai trouvé, moi seul !"

Léonora tressaillit. Une flamme mystérieuse jaillit de son regard noir.

"Voici mon chef-d’œuvre", continua Lorenzo en saisissant le flacon et en le faisant miroiter devant une lampe.

Il y avait dans son regard une sorte d’admiration passionnée. Il continua, comme se parlant à lui-même :

"Oui, l’aqua-tofana que j’ai d’ailleurs reconstituée et dont vous avez pu vous servir, cara signora, c’était très bien. L’aqua-tofana tue sans laisser de trace. Oui, il y a de merveilleux poisons. Les uns foudroient en un centième de seconde. Les autres assassinent en un mois, six mois, au gré de l’opérateur. Tout cela est très bien. Mais c’est de l’enfantillage auprès de celui-ci, qui est l’empereur des toxiques, le roi des liquides meurtriers, la formule sublime définitive que seul j’ai trouvée, et qui mourra avec moi."

Lorenzo reposa la petite fiole sur la table. Il ajouta froidement :

"Ce secret mourra avec moi. Je ne tiens ni à la gloire, ni à l’argent. Misérable avorton de la création, je pouvais me mettre à haïr l’humanité. Je pouvais avec la magnifique intelligence dont la nature m’a doué, conquérir à mon choix la fortune ou la puissance. Rien de tout cela ne m’a tenté. Seulement quand se réalise dans mes creusets ou dans mes cornues le rêve insaisissable que les chiffres m’avaient laissé entrevoir, alors, j’éprouve une minute d’orgueil. Alors, je me sens plus fort, plus grand que l’humanité tout entière. Ce secret mourra, et nul n’emploiera ce poison, qui m’a coûté dix ans d’efforts. Ce flacon, lorsque j’aurai fait une expérience, une seule, je le jetterai au feu. Sachez d’ailleurs qu’il me faudrait plus d’un an pour obtenir une nouvelle quantité semblable à celle-ci."

Il se tut. Léonora frissonnait. Son regard brillait. Elle posa sa main sur l’épaule du gnome :

"Lorenzo, dit-elle sourdement, tu as dit que tu ferais une expérience de ce poison...