Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/148

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Giuseppa fit la révérence et disparut. Concini demeurait stupide d’horreur. Pour la première fois de sa vie, peut-être, il éprouvait le vertige de la douleur qui désorganise un cerveau, anéantit les facultés, ravage une intelligence comme un ouragan fait d’un paysage. Marie de Médicis, doucement, posa sa main sur son front, et murmura :

"Tu souffres, dis ?"

Une rafale d’épouvante secoua jusque dans ses fondements l’esprit de Concino. Il se vit impuissant à cacher cette douleur qu’il fallait dissimuler à tout prix. Car cette douleur, c’était sa passion pour Giselle, avouée, proclamée. C’était la rupture immédiate avec son amante royale. C’était l’effondrement. Car dans cette minute même... oh ! dans cette tragique minute, Léonora Galigaï versait le poison au fils de la reine !…

"Tu souffres !" répéta Marie.

Et tout s’effondra dans l’âme de Concini. Léonora, le poison, le crime, le régicide, la lutte pour la puissance, trône, sceptre, tout disparut devant cette seule image : les flots de la Seine roulant vers le néant le corps de l’adorée ! Ses yeux se dilatèrent, sa bouche se crispa, sa poitrine se souleva, les sanglots grondèrent, roulèrent dans sa gorge, éclatèrent parmi des cris, des plaintes, des gémissements atroces… L’aveu ! La rupture ! Marie allait le chasser ! Tout était perdu ! Et, brusquement, un étonnement infini descendit sur lui. Marie, doucement, enlaçait son cou de ses deux bras ; Marie plus doucement, appuyait sa tête sur son sein ; Marie, plus doucement encore, murmurait :

"Pleure, va, pleure, amico caro... qui pourrait te consoler, sinon celle qui t’aime ? Pleure sans crainte, dis-moi ta souffrance et ton amour... je te consolerai moi, je te guérirai, je ne suis plus, je ne puis plus être jalouse... PUISQU’ELLE EST MORTE !"

Le récit de Giuseppa était rigoureusement exact, sauf quelques détails. Giuseppa avait réellement proposé à l’hôtesse ou plutôt à la prisonnière de la reine une promenade nocturne, que Giselle étonnée, avait acceptée sur-le-champ, avec le secret espoir d’une évasion. Les deux femmes sortirent du Louvre, Giuseppa babillant à tort et à travers, pour étourdir sa compagne, et Giselle silencieuse, l’esprit alerte, le cœur ferme. Elle se savait surveillée par des hommes qui suivaient à distance : ou du moins Giuseppa le lui avait affirmé. Mais Giselle ne connaissait pas la peur. Elle assura à sa ceinture le petit poignard qu’elle y portait, et résolue à reconquérir sa liberté, se tint prête à tout événement, tandis que, passive en apparence elle se laissait conduire au gré de la servante qui, respectueusement, lui offrait son bras.

Les rues étaient désertes et noires. De loin en loin, des