Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/188

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Ces derniers mots constituaient ce que de nos jours on appellerait un bluff sublime. Ils eussent détruit jusqu’à l’ombre du soupçon si Lureau en avait eu. Mais Lureau n’avait pas plus de soupçon que n’en ont eu, n’en ont et n’en auront jamais les innombrables moutons bêlants qui sont sûrs de recouvrer celui-ci l’appétit, celui-là ses cheveux, cet autre la jeunesse, et cette autre la beauté, en achetant un onguent dûment cacheté d’un Asclèpios,d’une Catachrèsis et d’une Parallaxis.

"Voyons, maître, faites votre onguent vous-même !

— J’y pensais, avoua Lureau ; mais ce sont ces trois diables de mots que je ne pourrai jamais convenablement prononcer.

— Trois talismans, maître ! Parallaxis, Asclèpios, Catachrèsis, voilà, c’est facile ! Adieu !

— Jamais je n’y arriverai, monsieur Cogolin, dit résolument Lureau, je fournis les ingrédients. Il me faut la moitié de votre onguent !

— Impossible. L’onguent est indivisible.

— Indivisible. Ah ! peste ! je n’avais pas songé à cela, moi ! Indivisible ! Quel malheur !

— Tenez, j’ai pitié de vous. Envoyez-moi les ingrédients en double, et je fais deux onguents, un pour vous, un pour moi. En double, entendez-vous ?

— Si j’entends ! s’écria Lureau radieux. Seize poulets au lieu de huit pour les deux pintes de sang, deux jambons au lieu d’un, et le reste à l’avenant. Dans dix minutes, tout cela sera dans votre chambre, avec deux bassines. Et vous pourrez vous mettre à l’œuvre. Mais les noms ?

— Soyez tranquille : je les prononcerai pour vous. Quant aux trois Pater, il est indispensable que vous les récitiez vous-même. Vous êtes chrétien, je suppose ?

— Oh ! monsieur Cogolin ! Et bon catholique, je m’en vante."


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Tel fut le récit que fit Cogolin à Capestang, qui déclara que son valet était homme de génie.

"Bien, ajouta le chevalier, mais demain, il faudra que tu présentes un onguent à notre hôte.

— Il est tout prêt, monsieur, dit Cogolin, qui exhiba un petit pot de verre rempli d’une sorte de graisse noirâtre."

Là-dessus, Capestang se coucha et rêva de chevelures absaloniennes ; il rêva aussi que le roi lui envoyait mille pistoles ; il rêva