Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/259

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l’auberge à maître Lureau : il était monté sur une longue table où trois chaises avaient été disposées. Cogolin regardait aussi et il songeait :

"Qu’un seul de ces contrebandiers ait l’idée d’entrouvrir cette porte, et je suis un homme mort. Ah ! monsieur le chevalier, fit-il d’un ton de reproche, voici l’heure où décidément je dois m’appeler Laguigne."

Capestang se retourna furieusement, saisit l’infortuné Cogolin à la gorge et le colla contre le mur :

"Comment dis-tu que tu t’appelles ? grogna-t-il.

— Laguigne, monsieur !" râla Cogolin.

Capestang serra. Ses doigts s’enfoncèrent dans la gorge.

"Comment prétends-tu que tu t’appelles ? Répète un peu.

— Lachance, monsieur, Lachance !…

— À la bonne heure, dit Capestang qui lâcha prise. Et fais-moi le plaisir de prendre une figure convenable pour un homme qui s’appelle Lachance. Car si, par malheur, je m’aperçois que tu es Laguigne, je t’étrangle tout net."

Cogolin se mit aussitôt à sourire joyeusement ; mais ce sourire de joie était si lugubre que Capestang ne put s’empêcher de rire.

"Allons, dit-il, console-toi. Ne sais-tu pas que si, d’aventure, tu es étripé par ces dignes gentilshommes, ce sera un grand honneur pour toi que d’être mort en compagnie d’un Trémazenc de Capestang ?"

Et Capestang sincèrement convaincu qu’il avait fourni à son écuyer la plus belle des consolations, reprit son poste au moment où deux nouveaux gentilshommes s’étant hissés sur la table du fond, prenaient place sur les chaises. L’un de ces trois était donc celui qui avait loué l’auberge, qui avait fait apporter les costumes et les armes. Le deuxième était inconnu de Capestang. Quant au troisième, il le reconnut pour l’avoir vu à l’auberge de la Pie-Voleuse, à Meudon.

"Le prince de Condé ! fit-il. Tiens, tiens, et où est ce cher M. de Guise ? Et le duc d’Angoulême, où est-il ? Est-ce que ces messieurs joueraient à cache-cache ?

— Messieurs, disait à ce moment le prince de Condé, M. de Rohan va nous expliquer où nous en sommes et ce que nous pouvons entreprendre avec chance de succès."

Un grand silence s’établit dans la salle. Le gentilhomme qui était locataire de maître Lureau se leva.

"Peste ! dit Capestang à Cogolin, tu es colocataire avec un Rohan... mes compliments.

— Je marche d’honneur en honneur, fit Cogolin avec un soupir de détresse.

— Messieurs, dit le duc de Rohan d’une voix forte, puisque nous ne pouvons plus compter sur le duc d’Angoulême (Capestang tressaillit : « Oh ! oh ! songea-t-il, est-ce que le père de Giselle a renoncé à ses prétentions ? ») puisque nous savons