Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/269

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le petit roi. Vous êtes des milliers, je suis seul. Vous êtes puissamment riches, je suis pauvre, je n’ai pas d’amis, pas de compagnons. Voilà mon histoire, monsieur. Vous voyez que ce n’est pas celle d’une trahison. Au fond, voyez-vous, peu m’importe qui règne. Mais je ne veux pas que mon petit Louis treizième pleure. Et d’ailleurs il m’a sauvé la vie. Et puis, monsieur, quand il a à donner un mot de passe dans les heures tragiques de sa vie, c’est mon nom qu’il choisit. Je suis son bouclier. Monsieur, je suis le chevalier du roi ! Je vous donne ces explications parce que vous me plaisez. Votre blessure n’est pas mortelle. Dans un mois il n’y paraîtra plus. Alors, monsieur le duc, s’il vous plaît de prendre votre revanche, je me ferai un honneur d’être votre homme. En attendant, je vous salue de tout mon cœur, parce que vous êtes vaincu, d’abord, et puis, parce que vous êtes un brave. Adieu ! Cogolin, ouvre la porte !"

Là-dessus, il se couvrit de son feutre et, marchant droit à Condé, il le prit par le bras, l’entraîna au-dehors, suivi de Cogolin, et se mit à marcher dans la rue de Vaugirard en tournant le dos à la rue de Tournon au moment où une quinzaine de gentilshommes en débouchaient : il était temps !

Capestang s’engagea dans la rue du Pot-de-Fer, qui aboutissait au carrefour du Vieux-Colombier. Au loin on entendait de sourds grondements. Des rafales de rumeurs montaient du fond de Paris. Des tocsins s’étaient mis à sonner. Ces bruits d’émeute firent tressaillir Condé. Capestang entrouvrit son manteau et lui montra un pistolet.

"Monseigneur, dit-il, nous allons traverser la fournaise ; il vous sera facile d’appeler à l’aide, et je serai tué. Mais je vous donne ma parole d’honneur que, au premier cri, je vous tue tout d’abord avec ce pistolet qui est un emprunt fait aux armes que vous avez déposées dans l’auberge : ce sera toujours une consolation pour vous.

— C’est bien, monsieur, fit Condé d’une voix sombre et désespérée ; je me suis rendu, je me tairai. Un mot seulement : où me conduisez-vous ?

— Au Louvre ! répondit Capestang. N’ayez pas peur : je réponds de vous !" ajouta-t-il avec une superbe assurance.

Dès lors, Condé ne dit plus un mot. Il était abattu. Il se sentait la tête vide et le cœur faible. Capestang le tenait solidement par le bras. Ils descendirent vers les rumeurs qui tantôt fusaient en gerbes, tantôt s’affaissaient en murmures menaçants, vers la fournaise d’émeute ; vers Paris.

À partir du carrefour du Vieux-Colombier, ils entrèrent dans la foule. Des bandes de bourgeois armés cheminaient vers le centre en criant : « Vive M. le prince ! » Ces bandes semblaient parfaitement organisées. Les bourgeois criaient aussi aux passants, pour les entraîner : « Les gardes sont avec nous ! Vous allez voir une compagnie de gardes marcher avec nous ! »