Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/308

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Concini rentra dans son vaste et somptueux cabinet des audiences, appela un valet et fit allumer toutes les lumières. Il était transfiguré. Une joie insensée le faisait palpiter. Et il rugissait :

"Je revis. Je me réveille. Je sors de la tombe. Corps du Christ ! Je connais en cette minute le sens prodigieux de ce mot : le bonheur ! La revoir ! Dans trois jours ! Et quand je ne la verrais pas ! Elle vit, c’est l’essentiel. Léonora ne ment pas. Léonora me la livrera quand… quand je pourrai sans danger porter la main sur elle ! Un roi seul, dit Lorenzo... Soit ! Je serai roi. Ne le suis-je pas déjà en fait ? Léonora le veut : j’aurai le titre. Et, avec le titre, j’aurai l’amour ! Et quant au misérable Capitan, quelle vengeance, quel supplice, quand je pourrai sans danger porter la main sur lui !"

Ayant fait allumer tous les flambeaux, comme nous venons de le dire, Concini ordonna :

"Envoie-moi Rinaldo !"

Rinaldo apparut et salua son maître avec cette familiarité mêlée de respect goguenard qui lui était particulière.

"Que fais-tu, Rinaldo ? gronda Concini. Que font Pontraille, Chalabre, Montreval, Louvignac, Bazorges, ces illustres chefs dizainiers[1] ? Que font les autres ? Sans doute, ils emploient leur temps à se curer les ongles, à s’admirer au miroir. Pendant ce temps, on m’insulte par la ville. Des hobereaux, en pleine place Royale, déclarent qu’ils me veulent fouetter. Corpo di Dio ! En serai-je réduit à provoquer moi-même mes insulteurs publics ?"

Rinaldo eut un sourire poivre et sel.

"Ne faites pas cela, monseigneur, dit-il. Vous auriez à dégainer contre toute la cour, et vraiment ce serait trop pour un seul homme, si brave que soit cet homme.

— Alors, hurla Concini, dis tout de suite que je dois me laisser bafouer, gourmer, cracher au visage !

— Non pas, per bacco ! Nous sommes à l’œuvre, monseigneur. J’en tuai trois pour ma part, depuis huit jours. Chalabre en a tué un ; Louvignac, deux ; tous les autres ont des rendez-vous. La place Royale ! Eh ! monseigneur, on n’y voit que nous. Et pour un ruban qui nous déplaît, pour une œillade, pour tout et pour rien, nous dégainons. Mais que diable, nous ne pouvons pas tuer tout Paris en un jour ! Ah ! depuis

  1. Les spadassins, les Ordinaires de Concini, au nombre d'une cinquantaine, étaient divisés en sections de dix hommes, chacune ayant à sa tête l'un des personnages nommés ici. Rinaldo commandait le tout. On sait que chacun des Ordinaires recevait mille livres d'appointements. ce qui fait que d'Aubigné leur donne un nom que nous n'oserions répéter si la vieille orthographe n'en faisait presque un mot latin, c'est-à-dire capable de braver l'honnêteté. Il les appelle les coyons de mille livres. (Note de l'auteur)