Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/312

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peser sur lui ce regard ; mais il ne levait pas les yeux ; il semblait méditer.

"Tenez, madame, dit-il au bout d’un silence, vous feriez mieux de renoncer à votre haine contre ces deux jeunes gens (il parlait d’une voix indifférente). Je crois que votre destinée sera brisée si vous vous entêtez à croiser la destinée du chevalier de Capestang et de Giselle d’Angoulême."

Léonora grinça des dents.

"Ainsi, murmura-t-elle tandis qu’un soupir atroce gonflait son sein, tu me donnes à choisir entre deux épouvantes, deux abîmes ! Si je tue Giselle, je mourrai et j’entraînerai Concino dans la mort. Si je ne la tue pas, je devrai assister impuissante et maudite à l’amour de Concino pour cette fille !"

Le nain haussa les épaules d’un air de commisération et garda le silence.

"Mais enfin, reprit tout à coup Léonora, comment et pourquoi cette funeste idée t’est-elle venue de tirer l’horoscope de ces deux êtres ? Malédiction ! Ne pouvais-tu laisser le secret de leur destinée dans les gouffres de l’éther astral !"

Lorenzo se mit à rire.

"Alors, vous croyez, illustre seigneurie, que si je n’avais pas consulté les astres, il y eût eu quelque chose de changé à cette destinée ? Autant croire qu’une maladie changera de cours parce que le médecin n’aura pas vu le malade.

— C’est vrai, c’est vrai, balbutia Léonora. Je deviens folle. Il n’y a que les faibles et les lâches qui aient peur de la vérité. Moi je n’ai pas peur, dût cette vérité me foudroyer. N’importe, Lorenzo, je veux savoir pourquoi tu as voulu savoir, toi.

— D’abord, madame, parce que je m’intéresse à vos faits et gestes. Je vous disais tout à l’heure que ma fonction c’est de regarder ce vaste déchaînement de haines qui tourbillonnent à la surface de la terre. Tenez, madame, il y a deux ans, un jour d’hiver, il m’est arrivé d’être pris par une tempête de neige dans une chaumière de manants au fond des bois. La forêt sanglotait, craquait, gémissait, hurlait. Les rafales passaient avec un long rugissement. Du fond du ciel noir se précipitaient les flocons éperdus, poussés par le hasard, enlacés en des tourbillons furieux, et je croyais voir la vie éphémère des hommes. Je ne sais pourquoi certains de ces flocons pourtant pareils aux autres, un peu plus étincelants peut-être, m’intéressaient plus que les autres. Je voulais savoir comment et où ils allaient tomber, et ce qui allait leur advenir. Ils tombaient comme les autres ; ils disparaissaient comme les autres, confondus dans le même immense linceul. Madame, vous êtes un de ces flocons, et cela m’intéresse de savoir où le tourbillon va vous porter. C’est pourquoi j’étudie la destinée de tous ceux qui entrent en conjonction avec la vôtre. C’est donc pour cela que l’idée m’est venue de titrer l’horoscope de ce