Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/318

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

génial aux idées fécondes, à l’esprit de vaste envergure, de la brute incapable de se diriger ? Est-ce que ce libre arbitre ne consiste pas justement à feindre d’obéir… à obéir en apparence ? à agir à son gré, c’est-à-dire selon ses intérêts, tout en obéissant ?

N’est-ce pas en cela que réside l’intelligence humaine ?

"Madame, reprit Lorenzo qui étudiait attentivement cette physionomie de sphinx, vous savez quel intérêt passionné vous m’inspirez. Je vous ai prédit vos hautes destinées. Dès que j’aperçois au ciel quelque conjonction défavorable à vos projets, je me hâte de vous en prévenir. C’est pourquoi je vous ai communiqué l’horoscope de Giselle d’Angoulême et du chevalier de Capestang. C’est pourquoi, ayant recommencé horoscope en m’entourant des éléments plus précis que vous-même m’avez apportés, ayant selon vos ordres interrogé les astres, je vous répète encore : Renoncez, madame, à votre haine contre ces deux jeunes gens !

—Renoncer ! murmura Léonora. C’est-à-dire renoncer à ma propre vie ! Lorenzo, tu connais Concino. Il ne renoncera pas, lui ! Tant que Giselle vivra, sa passion à lui vivra, plus exaspérée de jour en jour. Au contraire, si elle meurt, tu sais que, après le grand éclat d’un désespoir violent et rapide aussi comme un incendie, Concino ne pensera pas plus à Giselle qu’il ne pense maintenant à celles qui sont mortes… Il faut donc que Giselle meure. Et pourtant je n’ose pas. Tu dis que tu as lu dans les astres...

— J’ai lu, madame, que quiconque touchera soit à Giselle d’Angoulême soit à Adhémar de Capestang sera brisé comme verre, pulvérisé, foudroyé.

— Oui ! dit Léonora en hochant la tête. Et c’est cela qui m’arrête depuis un mois que je les tiens tous les deux en mon pouvoir. Mais tu as lu aussi qu’un roi peut, sans danger, donner l’ordre de les mettre à mort, pourvu qu’aucune main humaine ne soit directement cause de la mort ?"

Le nain garda le silence, stupéfié par ces mots qui venaient d’échapper à Léonora :

"Depuis un mois que je les tiens en mon pouvoir..."

Lorenzo éprouvait une sorte de douleur qui l’étonnait et l’emplissait de doute. Pourquoi cette douleur ? Parce que Giselle et Capestang étaient au pouvoir de Léonora ?

"Après tout, grondait-il en lui-même, qu’est-ce que cela peut me faire, à moi ? Est-ce que je les connais ? Est-ce que ma fonction sur terre n’est plus de regarder le mal qui se fait et de m’en réjouir ? Et même, si je me crois obligé de réparer l’infamie d’Orléans, n’ai-je pas assez fait en sauvant l’un après l’autre cette jeune fille et ce jeune homme ? Puisqu’ils sont au pouvoir de Léonora Galigaï, que leur destinée s’accomplisse !"

Et, tandis qu’il s’affirmait ainsi son indifférence, Lorenzo