Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/33

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visage avait cette pâleur de peau des gens qui ont passé de longues années au fond des prisons ; et, en effet, il y avait à peine un an que le fils de Charles IX venait de s’évader de la Bastille, où Henri IV l’avait fait jeter pour se débarrasser de ses conspirations.

Pendant que le duc d’Angoulême rayonnait, ses deux voisins de droite et de gauche souriaient d’assez méchante humeur.

"Qui sont ces deux-là ? se demanda Capestang. Des chevaliers de la Triste-Figure ?"

Et comme pour répondre à cette question muette, celui qui était assis à droite du comte d’Auvergne se levait et disait :

"Moi, prince de Joinville, duc de Guise, malgré les droits incontestables de la maison de Lorraine au trône de France, droits établis par mon illustre père Henri le glorieusement balafré, je déclare m'incliner devant le choix que viennent de faire les gentilshommes présents, et, à mon tour, je crie : Vive Charles X !"

"Le duc de Guise ! murmura Capestang. Mordieu ! Je suis en opulente compagnie... opulente ou insensée... les deux, sans doute ! A moins que tout ceci ne soit un rêve !"

Celui qui était assis à la gauche du comte d’Auvergne se levait alors, et, un peu pâle, les lèvres serrées par l’envie, prononçait par l’accent contraint des paroles que Capestang écouta en songeant :

"Hum ! on dirait que chaque mot lui déchire la gorge… Il va avaler sa langue !"

"Moi, disait celui qui parlait si à contrecœur, moi, Henri II de Bourbon, prince de Condé, bien que je sois de la famille royale, bien que mon écu porte les trois fleurs de lis, je ratifie le choix qui vient d’être fait, et salue M. le duc d’Angoulême pour notre roi légitime."

"Le prince de Condé ! murmura Capestang. Décidément, je suis en royale société. Si cela continue, il me semble qu’il va me pousser une couronne sur la tête, à moi aussi !"

La tempête d'applaudissements provoquée par les déclarations du duc de Guise et du prince de Condé s'apaisa ; le duc d'Auvergne [1] venait de faire un geste, et s’était avancé d’un pas en avant de son fauteuil. Et vraiment il avait haute mine et royale allure.

"Messieurs, dit Charles, comte d’Auvergne, et duc d’Angoulême, les paroles qui viennent d’être prononcées par mes illustres cousins le duc de Guise et le prince de Condé portent le dernier coup à l’autorité de ce roitelet que tous nous jugeons indigne de régner sur la première noblesse du monde. Mon cœur enivré de reconnaissance crie merci au très noble fils de Lorraine. L’épée de connétable, quand je serai sur le trône, ne saurait être portée par un plus digne.

  1. Probable erreur de l'auteur ou coquille de l'éditeur : le duc d'Angoulême, qui n'est que comte d'Auvergne