Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/371

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— Clair ? grommela l’aventurier en se prenant le front à deux mains. Clair ! Je veux être saigné vingt fois comme ce drôle m’en menaçait si je vois clair dans ma situation. Tout n’est que ténèbres, comme dans le puits de mon cauchemar, ajouta-t-il en frissonnant. Dites-moi, mon cher. Vous me disiez que j’ai battu la campagne pendant une semaine… N’aurais-je pas parlé de quelque chose comme un puits sans fin, avec une vis, une planche qui tourne.

— Si fait, monsieur. Vous avez rêvé tout haut, hier ou avant-hier, et vous parliez de cela.

— C’était bien un cauchemar, murmura le chevalier. Il est évident qu’au moment où, dans la chambre souterraine on m’a fait boire un narcotique, c’était pour pouvoir me transporter ici. J’ai rêvé tout le reste, et le narcotique m’a donné une fièvre qui a duré sept jours, voilà !"

Dans le fond, le chevalier ne croyait pas un mot de l’explication qu’il se donnait à lui-même. Mais à la seule idée d’admettre la réalité de l’effroyable engin d’épouvante, ses cheveux se hérissaient, son front se couvrait d’une sueur froide, son cœur cessait de battre.

"Voyons, reprit-il en secouant la tête, d’après ce que vous me dites, je puis donc rester encore une bonne quinzaine ici et être défrayé de tout sans bourse délier, opération qui me serait d’ailleurs difficile, vu que je n’ai pas de bourse ?

— Vingt-trois jours, monsieur, rectifia Gorju avec un soupir. Le plus bel appartement de l’hôtellerie. La nourriture la plus délicate. Les meilleurs vins. La dame a dit : « Comme pour un prince. » Et pendant vingt-trois jours encore, vous avez droit à être ici traité comme un prince.

— Mais, dit le chevalier en se redressant, les armes de ma famille valent bien celles d’un prince !

— Je n’en doute pas, monsieur. Donc, nous disons vingt-trois jours.

— Non, mon cher hôte, non, rassurez-vous, fit le chevalier en riant. Les vingt-trois jours seront votre bénéfice et la digne récompense de vos bons soins désintéressés.

— Ah ! monsieur ! s’écria Gorju enthousiasmé, je ne sais si vous avez les armes d’un prince, mais vous en avez la générosité. Monsieur, je suis bien votre serviteur !

— Hum ! si je n’avais que la générosité de tel prince que je connais. Mais si j’ai pu, malgré moi, être hébergé pendant que j’étais privé de connaissance, il ne convient pas à un Trémazenc d’accepter l’hospitalité d’une inconnue, alors que ses jambes peuvent le porter et ses bras le défendre !

— Ainsi, monsieur, vous me quitteriez ?

— Aujourd’hui même, mon brave."

Un violent combat parut se livrer dans l’esprit de maître Gorju, tiraillé par deux démons également redoutables : l’avarice et la peur. Ce fut la peur qui l’emporta.