Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/40

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Mais ils n’étaient que la broderie de sa pensée. Le fond demeurait de même et, comme un motif de musique, revenait, quoi qu’il fît.

"Qui est-elle ? Qui est cette jeune fille que j’ai pu aider à fuir ? Comme elle est belle ! La reverrai-je jamais ? Et pourquoi chercherais-je à la revoir, alors que c’est sans nul doute, quelque haute demoiselle sur qui, moi, chétif et humble chevalier, je ne dois pas lever les yeux. N’y songeons plus !"

Et plus il se recommandait à lui-même de n’y plus songer, plus il se désobéissait.

"Je ne sais rien d'elle, reprenait en sourdine le chevalier. Qui elle est, son nom, sa famille, voilà ce que je ne saurai sans doute jamais. Une image plus profondément gravée dans mon cœur... un souvenir ! Voilà donc tout ce qui me reste de cette rencontre..."

Un soupir ponctuait cette constatation faite sans amertume.

Vers les neuf heures du matin, Capestang se remit en route et, au pas de Fend-l'Air, se dirigea vers Paris, à travers les beaux bois pleins d'ombrages et de senteurs enivrantes. Il n’était ni d’humeur sombre, ni d’esprit mélancolique, il prenait de l’heure présente ce qu’elle pouvait contenir de charme, et avec délices, il respirait les mille parfums qui se balançaient dans l’air frais du matin. Et il ne voyait pas un cavalier qui marchant sous le couvert des bois, le suivait à distance, le couvait des yeux, le poignardait pour ainsi dire dans le dos de la méchanceté aiguë de son sourire. Et ce cavalier, c’était Rinaldo, l’âme damnée de Concino Concini !

"Va, murmurait Rinaldo, va démon, je te suis, je ne te lâche plus. Quelle vengeance, tout à l’heure, quelle vengeance !"

Non, Capestang ne le voyait pas ! Et l'eût-il même vu qu'il ne l'aurait pas reconnu, l'ayant à peine entrevu dans la bagarre de la veille. Il était loin de songer qu'on pouvait le suivre. Son imagination, à ce moment, les rênes libres comme celles de Fend-l’Air, lui retraçait à grands traits son bref passé, toute sa jeune existence.

Il avait eu la plus heureuse des enfances que puisse rêver non pas l’enfant mais l’homme mûr quand, jetant les yeux en arrière, il regrette le temps qui n’est plus. Là-bas, dans le vieux castel aux pierres branlantes, il n’avait eu pour souci que de vivre, se laisser vivre, absorber de la vie à pleins poumons. Il est vrai que sa mère l’avait forcé à écouter les leçons qu’elle s’ingéniait à lui rendre supportables, et Capestang avait pu ainsi apprendre à lire, à écrire, et puis il s’était initié à l’étude de l’histoire, puis il était devenu un lecteur passionné des vieux livres qui racontaient les exploits de l’ancienne chevalerie.

Mme de Trémazenc de Capestang possédait une vingtaine de