Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/419

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Richelieu s’inclina et mit la main sur son cœur en signe que son dévouement était non moins illimité.

"Sire, dit-il, M. de Laffemas a été mis à la Bastille par des gens que j’ignore, mais qui, à coup sûr, ont voulu vous priver d’un bon serviteur. Il est donc politique de leur laisser croire que M. de Laffemas n’est pas sorti de son cachot. Il est donc inutile que le nom de Laffemas figure sur le registre de sortie, tandis qu’il est indispensable qu’il continue à figurer sur le registre d’entrée.

— Ventre-saint-gris ! monsieur, vous pensez à tout ! s’écria Louis XIII avec admiration.

— Oui, sire, à tout ! Pour les mêmes raisons, il ne faut pas que M. de Guise sache que le jeune marquis de Cinq-Mars est à la Bastille. Il est donc inutile que le nom de Cinq-Mars figure sur les registres d’entrée. M. de Cinq-Mars, à la Bastille, ne doit plus être qu’un numéro !"

Le jeune roi frissonna. Derrière cette raison politique qu’invoquait l’évêque de Luçon, il crut entrevoir une autre raison formidable. Richelieu avait parlé de la sortie sans nom de Laffemas que pour amener l’entrée sans nom de Cinq-Mars. Il eut un moment d’anxiété. Son cœur s’arrêta de battre.

"Vous avez raison, dit enfin Louis XIII. Nul ne doit savoir que M. de Laffemas est libre ; nul ne doit savoir que M. de Cinq-Mars est prisonnier."

Richelieu se mordit les lèvres jusqu’au sang pour s’empêcher de crier. Mais, au fond de lui-même, il hurlait de joie. Louis XIII tenait sa plume sur un parchemin en blanc, au bas duquel se détachait le sceau royal. Il semblait hésiter. De sa voix âpre et caressante, Richelieu murmura :

"Si Votre Majesté daigne m’y autoriser, je lui dicterai la formule convenable."

Louis XIII approuva d’un signe de tête. Et Richelieu dicta ! Il laissa tomber une à une ces paroles, qui contenaient un monde de haine, et que le roi écrivit :

Ordre à M. le gouverneur de notre Bastille de la porte Saint-Antoine :

M. de La Neuville, gouverneur de notre forteresse d’État, remettra aux mains du porteur des présentes le prisonnier qui lui sera indiqué ; ce prisonnier devra sortir sans aucune formalité de registre ; aucun des gardes ne devra assister à sa sortie.

M. de La Neuville recevra des mains du porteur des présentes un prisonnier d’État, qui sera aussitôt mis au secret. Il est défendu au gouverneur, à tout garde ou geôlier de la Bastille de s’entretenir avec ce prisonnier et de chercher à savoir son nom.

Les présentes seront exécutables dès l’instant où elles seront présentées à M. de La Neuville par notre envoyé qui en