Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/438

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"Ah ! murmura-t-il, le voilà heureux, lui ! Voilà l’amour qui passe ! Est-il donc vrai qu’il y a des hommes marqués pour le bonheur, et d’autres pour la tristesse ?... Cinq-Mars part avec celle qu’il aime ! Qu’ils soient heureux tous deux ! Mais moi, qui me fera heureux ? Qui me rendra celle que j’aime, moi ?... Giselle ! Giselle ! Où êtes-vous ?"

Il s’interrompit d’un éclat de rire tout fiévreux.

"Giselle ! La petite-fille de Charles IX. Allons, Capitan, elle n’est pas pour toi, celle-là ! Viens, Cogolin, viens, mon ami, viens, et continuons !

— Que devons-nous continuer, monsieur ?

— À chercher la fortune !"


Le lendemain de cette soirée où Léonora Galigaï vint consulter Lorenzo, le nain se promenait à pas menus dans sa boutique du rez-de-chaussée où il se tenait d’habitude. La porte donnant sur le pont était ouverte. De temps à autre un homme ou une femme du peuple entrait, non sans esquisser un signe de croix, jetait çà et là un regard craintif et soupçonneux, puis demandait l’herbe dont il avait besoin, jetait une pièce blanche ou une pièce de monnaie sur la table, et se sauvait.

Ce commerce des herbes, c’était la raison d’être de Lorenzo, sa raison sociale, la façade qui couvrait et protégeait son terrible commerce de poisons. Le nain servait ses clients avec la même indifférence, et, à la marchandise, joignait généralement quelque conseil qu’il donnait par-dessus le marché.

Comme le nain venait de vendre à un jeune homme une poudre destinée à le faire rêver de celle qu’il aimait, des huées se firent entendre sur le pont. En même temps, une commère, forte gaillarde dont la face bourgeonnait, se précipita toute effarée, dans la boutique, et se mit à gémir :

"Ah ! mon brave monsieur Lorenzo, je suis perdue si vous ne me donnez une sauvegarde : la folle m’a touchée en passant !

— Une folle vous a touchée ! fit Lorenzo qui ouvrit un tiroir.

— Hélas ! Jésus, Seigneur, mon doux maître, ayez pitié de moi ! Là, sur le pont, elle a effleuré ma main de sa main,