Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/469

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— Messieurs de Bourgogne n’ont qu’à se bien tenir ! songeait Gautier-Garguille un peu pâle.

— Et les sacs pleins d’or ? songeait Cogolin, vacillant de stupeur.

— Ô Giselle ! regarde le pauvre Capitan jouer le rôle du roi !" songeait Capestang ébloui, transporté, marchant et vivant comme en un songe prestigieux.

Ils allaient ainsi par les rues noires, fantastique patrouille de comédiens conduite par un aventurier et escortant celui qui, le lendemain, devait dicter la loi au roi de France, le prendre, tout faible et petit, et, d’un revers de sa main puissante, le jeter à bas du trône ! Une masse sombre, tout à coup, barra le ciel. Une voix dans la nuit, hurla :

"Qui vive !"

Capestang fut secoué d’un tressaillement terrible. Il lui sembla que violemment, du ciel, il était ramené à la terre. Il essuya la sueur qui ruisselait sur son front et, levant les yeux, s’aperçut qu’il était devant la Bastille.

"Qui vive ! répéta la voix.

— Chevalier du roi !" répondit Capestang d’un accent qui eut d’étranges vibrations.

Il se fit derrière le pont-levis un bruit d’allées et venues.

Puis une autre voix, celle d’un officier, s’éleva :

"Qui escortez-vous ?

— Prisonnier du roi !" répondit Capestang.

Guise gronda une imprécation, se raidit un instant, puis tout s’affaissa en lui. Des chaînes grincèrent. Le pont commença à s’abattre et bientôt prit sa position horizontale.

"Allons, monseigneur, murmura Capestang à l’oreille de Guise. Songez que ce soir vous valez peut-être un million, mais que demain vous en vaudrez dix ! Faites votre paix avec le roi et laissez Louis XIII régner tranquillement."

L’instant d’après, ils étaient dans la Bastille !

On les fit entrer dans une salle basse, où avaient lieu, généralement, les formalités d’entrée ou de sortie des prisonniers. Alors, l’officier qui commandait la grande porte eut la curiosité de voir quel était ce prisonnier d’État qu’on amenait si mystérieusement, en pleine nuit, après cette soirée d’émeutes. Il leva un falot sur le prisonnier... L’officier recula. Il se tourna tout pâle vers Capestang et murmura :

"Oh ! je comprends ! C’est sublime ce que le roi fait cette nuit !"

Et, tout empressé, il courut lui-même chercher le gouverneur. Les trois comédiens et Cogolin étaient restés dehors, dans une cour étroite, glaciale, et frissonnaient appuyés sur leurs hallebardes. Il n’y avait dans la salle que Capestang rêveur, Guise sombre, et trois geôliers qui masquaient la porte. Bientôt, M. de La Neuville apparut, effaré, tremblant, jeta des yeux hagards sur le duc, s’inclina profondément devant lui sans savoir ce qu’il faisait, puis courant à l’aventurier :