Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/475

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n’est plus ! Pour vous dire la vérité, j’avais espéré que vous ne souperiez pas ce soir !

— Et pourquoi aurais-je fait abstinence ? fit Capestang.

— Parce que cela eût sauvé notre dernier écu, monsieur !

— Diable ! Dis-tu vrai ?

— Vous avez hier vidé le fond de la bourse pour jouer cette pièce à laquelle je n’ai rien compris. Le souper que vous avez offert à la noble compagnie du sieur Turlupin a coûté onze pistoles à lui tout seul. Bref, vous êtes ruiné. Ah ! monsieur, il est temps de faire fortune !

— J’y vais songer, dit Capestang le plus naturellement du monde. J’y vais songer en dormant. Penses-y de ton côté."

Vingt minutes plus tard, Capestang dormait de tout son cœur. Mais si Capestang dormait avec conviction, il n’en était pas de même de Cogolin, qui, une fois rentré dans le cabinet qu’il occupait, vida sur un coin de la cheminée le fond de la fameuse bourse et se mit à rire silencieusement, mais, cette fois, tout de bon.

"Cinq pistoles ! murmura-t-il. Les cinq dernières !... Pauvres pistoles, j’ai eu du mal à vous sauver, mais enfin vous voici saines et sauves, intactes ! Vous êtes l’espoir de Cogolin et de M. le chevalier de Trémazenc de Capestang ; car, pistoles, mes mies, vous allez vous en aller tout droit chez le sorcier du Pont-au-Change. Et que va-t-il nous donner en échange ? Le moyen infaillible de gagner au jeu !"

On voit que Cogolin ne démordait pas de son idée ; il n’y a rien de plus entêté qu’un joueur. S’étant assuré, donc, que son maître dormait profondément, il serra les cinq précieuses pistoles au fond d’une de ses poches, se couvrit de son manteau, sortit de l’auberge sans donner l’éveil à personne, et, allongeant ses longues jambes, la bouche fendue par un large sourire de satisfaction, se dirigea rapidement vers la Cité. Le cœur tout battant, il entra alors sur le Pont-au-Change. Quelques instants plus tard, il s’arrêtait devant la porte du sorcier, c’est-à-dire de Lorenzo.


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Reprenant maintenant cette journée par son commencement, nous conduirons d’abord le lecteur à l’hôtel Concini. La grande porte est fermée, solidement barricadée. Dans la cour, soixante arquebusiers sont disposés en trois pelotons de vingt hommes chacun.

Le long du grand escalier, dans les antichambres, dans toutes les pièces qui conduisent jusqu’aux appartements du maréchal, les spadassins ordinaires sont disséminés par groupes de cinq ou six, sous le commandement général de Rinaldo aidé par Louvignac, le seul lieutenant qui lui reste : Pontraille et Bazorges étaient morts dans la nuit aux abords de l’hôtel de Condé ; Montreval et Chalabre avaient été tués à l’affaire du Panier-Fleuri, à Longjumeau.

Les valets eux-mêmes, dépouillant leurs somptueuses livrées pour