Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/501

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lettre !... Il faut que ma lettre arrive... et que Léonora ne sache pas !"

Il se mit à monter à bonds désordonnés. Au moment où Lorenzo atteignait la porte de son laboratoire, Belphégor, avec un han ! terrible, lui porta dans le dos, à toute volée, un coup de poignard. Le nain s’écrasa sur le plancher et se roula en talonnant violemment.

"Crève donc !" râla le Nubien de cette voix étrange de l’homme qui se sent redevenir carnassier. Dans le même instant, comme il se baissait pour porter un deuxième coup, il vit que la lame de son poignard s’était brisée ! Il vit que la blessure horrible qu’il avait dû faire à Lorenzo ne saignait pas ! Et il vit que le nain se relevait et se jetait à l’intérieur de son laboratoire.

Lorenzo portait une solide chemise de mailles : le coup l’avait jeté à terre, mais non tué. D’un bond, il fut à la fenêtre. Elle était ouverte : Lorenzo le savait.

C’est vers cette fenêtre ouverte sur la Seine qu’il attirait Belphégor. La fenêtre ouverte sur la mort. C’était terrible. Le seul moyen d’empêcher Belphégor de prévenir Léonora, c’est-à-dire le seul moyen de sauver la duchesse d’Angoulême et sa fille, c’était de tuer le Nubien ! Et comme Lorenzo était trop petit, trop faible pour entreprendre une lutte, le seul moyen de tuer Belphégor, c’était de mourir en l’entraînant dans la mort !

Lorenzo enjamba la fenêtre et attendit un instant, alors qu’il eût pu se laisser glisser. Il eut un hoquet de joie puissante : Belphégor était à la fenêtre ! Belphégor le saisissait !

"La lettre ! murmura Lorenzo. Il faut que la lettre arrive !... et que Léonora ne sache pas."

Il eut un sourire mystérieux, leva les yeux au ciel pour voir les étoiles et murmura :

"C’était écrit. Ceci est la suite du drame d’Orléans."

En même temps, il cessa de se cramponner des pieds à l’échelle sur laquelle il venait de se poser et, des deux mains, se suspendit à la gorge de Belphégor. Des imprécations râlées, de sourds jurons, une sorte de trépignement. Le Nubien frappait à coups redoublés sur la tête du nain. Convulsivement, Lorenzo l’étreignait à la gorge, l’attirait, l’entraînait brusquement, il y eut une chute, le tournoiement rapide de deux ombres dans l’espace, puis le bruit de l’eau qui s’ouvre.

Quelques secondes, Belphégor et Lorenzo enlacés se débattirent à la surface ; quelques halètements rauques indiquèrent que là, près de cette arche du Pont-au-Change, une chose horrible se passait. Lorenzo ne souffla plus. Belphégor râlait encore. Lorenzo était mort. Lorenzo était mort en murmurant :

"Orléans !"

Et les mains de Lorenzo, les mains mortes, les mains figées par la mort dans une crispation furieuse, demeurèrent incrustées à la gorge de Belphégor. Cela dura peut-être encore une