Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/55

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" Capitan ! vociféra le chevalier. Eh bien, soit ! Capitan me va ! J’accepte Capitan ! Je ramasse Capitan ! Et ce nom je le hausse à ma taille ! Arlequins, Pulcinelles, Pantalons, prenez garde au Capitan !"

Il bondit. Il y eut un sifflement aigu, strident de la rapière, décrivant un moulinet fantastique au-dessus de la tête de Capestang ; puis brusquement, cette ligne d’acier qui traçait une zébrure d’éclair s’abaissa à la hauteur des six visages, et un triple hurlement éclata : Rinaldo, Chalabre et Bazorges portèrent la main à leurs joues et la retirèrent sanglante. Les trois joues avaient été cinglées du même coup de fouet rebondissant de l’une à l’autre.

"Sangue della madonna ! – Tripes du diable ! – Ventre du pape !"

Les trois jurons furieux retentirent, il y eut un recul, puis un silence d’une seconde, puis la ruée des six dans un trépignement exaspéré, le cliquetis des épées choquées, le grondement des voix féroces mâchonnant des insultes, des promesses de dévorer le foie, des serments de faire sauter la cervelle à la poêle et de mettre le cœur à la broche, tout ce tumulte hideux dominé par la voix acerbe de Capestang qui hurlait :

"Le Capitan à la rescousse ! – Tiens, Pantalon ! – Tiens, Pulcinello ! – Ah ! miséricorde ! – Ah ! tripes du pape et ventre du diable ! – Ah ! Per bacco ! – Ah ! Corbacque ! – Capitan ! Gare au Capitan !"

D’un bout à l’autre de la pièce, Capestang, pareil cette fois à Roland furieux, bondissait, tantôt dans un angle d’où jaillissait son coup de rapière, tantôt à l’angle opposé, tantôt à plat ventre sur les dalles, se baissant, se relevant, portant ici un coup de poignard, parant là un coup d’épée, passant et repassant à travers le groupe fou de rage et dérouté par cette manœuvre enragée, sublime. Rinaldo avait la cuisse traversée d’un coup de poignard. Pontraille poussait des rugissements de douleur : un coup de pointe lui avait crevé un œil. Il y avait du sang aux murs, du sang sur les dalles, du sang sur les visages, sur les mains. La bande qui avait cru en finir d’un coup, la bande qui, selon toutes les règles de l’art, avait pensé cerner Capestang dans un angle et le tuer là, la bande affolée par la tactique imprévue, insensée, la bande se démenait, se heurtait, tourbillonnait, cherchait Capestang qui était partout et nulle part.

"Il en tient ! Il en tient !" rugit Rinaldo en se soulevant.

Oui ! Il en tenait ! Il était blessé aux deux mains, il avait l’épaule droite labourée, une large estafilade à la poitrine, deux ou trois piqûres aux bras. Ses vêtements étaient en lambeaux, ses genoux, tout à coup fléchirent, sa voix s’affaiblit, la rapière lui échappa ! Capestang, du fond du brouillard qui s’appesantissait sur ses yeux, vit jaillir l’éclair des poignards, comme au fond d’un nuage on voit luire la foudre.