Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/76

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entendit derrière lui le bruit d’un cheval qui trotte. Il se retourna et, à distance, aperçut en effet un cavalier qui évoluait, trottait, galopait, revenait sur ses pas, puis exécutait une volte, se remettait à galoper, enfin, manœuvrait comme quelqu’un qui essaie un cheval.

"Fend-l'Air ! C'est Fend-l'Air ! murmura Capestang qui tressaillit à la fois de joie et de fureur. Fend-l'Air monté, je veux dire déshonoré par l'un de ces sacripants qui m'ont tué ! Car ils m’ont bien tué et mis au tombeau, et ce n’est pas leur faute si je vis encore, tout mort que je devrais être."

C’était bien Fend-l’Air. Et le cavalier, c’était bien l’un des spadassins de Concini. Montreval, qui paradait sur la superbe bête. Capestang jeta un regard autour de lui, il vit qu’il venait de dépasser les Carmes et que l’endroit était désert.

— Bon ! fit-il en se remettant en marche. Nous allons rire.

Les six séides du maréchal d’Ancre avaient, la veille au soir, tiré au sort le cheval demeuré dans les écuries de l’hôtel. Il en était ainsi après chaque expédition : ils se partageaient les dépouilles de l’ennemi vaincu ou tué, et s’il n’y avait pas de quoi faire le partage, on s’en rapportait à la chance. Montreval, favorisé et devenu légitime possesseur du cheval, l’essayait donc, et se disait à lui-même qu’il avait désormais une monture royale, lorsque retentit un coup de sifflet bizarrement modulé.

Fend-l'Air s'arrêta net. Au premier coup d’éperon, il allongea ses narines frémissantes et secoua sa fine tête indignée ; au deuxième coup, il se campa, ramena sous lui les jambes de derrière et s’immobilisa comme un cheval de bronze.

"Ah ! fit Montreval, es-tu aussi rétif que ton ancien maître ?"

Le sifflet se fit de nouveau entendre, mais modulé d'une autre manière. Aussitôt, Fend-l’Air se mit à reculer, malgré les objurgations, les flatteries et les coups d’éperon de son cavalier. Pour la troisième fois, le sifflet retentit, mais toujours sur un nouveau mode. Alors Fend-l’Air se porta tout à coup en avant par une série de sauts de mouton.

Montreval poussait des « holà ! » prolongés. Fend-l’Air s’encapuchonnait, détachait une formidable ruade, puis se dressait, pointait, exécutait sur place des tête-à-queue fantastiques. Fend-l’Air devenait un tourbillon, il semblait pris de folie. Cela dura deux ou trois secondes, et brusquement, d’un dernier coup de reins à désarçonner le plus solide écuyer, il envoya Montreval à dix pieds en l’air...

Montreval retomba sur la chaussée, où il demeura inanimé. Fend-l’Air partit à fond de train et s’arrêta près de Capestang, en jetant un long et joyeux hennissement. L’aventurier saisit dans ses mains frémissantes la tête du noble animal et l’embrassa sur les naseaux ; puis légèrement, il se mit en selle, sans