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cxiv
DISCOURS


    ceux de leurs Sujets qui ſont formés à notre maniere de combattre, ne ſe portent un jour à exterminer des Peuples qui viennent ſans autre droit que leur épée, s’emparer d’une partie de leur Domaine. D’ailleurs, témoins des guerres que de grandes poſſeſſions doivent naturellement allumer entre les Nations Européenes, établies dans leur Pays, elles ne ſe regardent plus comme protectrices de quelques Marchands qui demandent simplement la liberté du Commerce. Ce ſeroit donc s’abuſer que de compter ſur leur ſecours pour défendre ces fantômes de neutralités qu’elles penſoient être en état de maintenir lorſqu’elles les ont preſcrites : elles s’attacheront à la Nation la plus puiſſante, & ſeront les premieres à ſe déclarer contre le Peuple vaincu, ne ſe croyant plus obligées aux engagemens qu’elles ont contractés avec lui lorſqu’il n’étoit que Marchand, depuis qu’ayant comme changé de nature, il a voulu devenir Conquérant. De plus, ces Puiſſances fondées ſur le deſpotisme, & qui ne reconnoiſſent par conſéquent que le droit du plus fort, ſont diviſées par des intérêts toujours ſubſiſtans, & entraîneront dans leurs querelles des Peuples dont elles connoîtront la force, & pour qui ces querelles ſeront un appas à de nouvelles acquiſitions. Reſte à ſçavoir après cela, ſi de ſimples Compagnies de Marchands peuvent ſupporter les ſuites de pareils engagemens.

    Les mêmes réflexions ont lieu contre les grandes conceſſions accordées par les Princes du Pays, parce qu’elles attiſent la jalouſie, parce que la garde de ces conceſſions demande une augmentation de troupes, & que d’ailleurs elles ſuppoſent une ligue offenſive & défenſive entre celui qui donne & celui qui recoit ; ligue, qui entraîne tous les inconveniens que l’on oppoſe au ſyſtême des conquêtes.

    Il faudroit un volume pour bien diſcuter les quatre objections que je viens d’expoſer, & jamais on ne le ſera d’une maniere ſatisfaifante, ſi l’on n’a pas une connoiſſance exacte du climat de l’Inde, du génie des Peuples qui l’habitent & de la nature de leur Gouvernement. Je me contente de préſenter ici pluſieurs vues propres à jetter quelque jour ſur un objet dont l’intérêt perſonnel permet difficilement d’enviſager également le bon & le mauvais côté.

    On peut d’abord demander en général ſi les Établiſſemens que les Européens ont formés dans l’Inde, & le Commerce qu’ils font dans cette Contrée, leur ſont réellement avantageux. Avant que de répondre à cette queſtion, j’examine ce qui donne naiſſance aux Colonies.

    Un Peuple reſſerré dans ſon propre Pays, ou borné dans ſon Commerce National, ſe met au large par des envois d’hommes, qui augmentent en même tems ſa puiſſance & ſes revenus, en répandant au loin le fruit de ſon induſtrie, dont des retours également lucratifs animent les reſſorts.

    Des Inſulaires dont la puiſſance & la richeſſe ne poſent que ſur leurs Vaiſſeaux, ſur l’étendue & la multiplicité de leurs rapports avec les Étrangers, peuvent avoir deux motifs d’envoyer dans l’Inde des Colonies qui leur ſeroient d’ailleurs à charge ; le premier, de tenir en haleine les bras qui font leur ſûreté, c’eſt-à-dire, d’avoir une Marine toute prête & toute exercée, en cas de rupture avec leurs voiſins ; le ſecond, d’augmenter ou du moins de ſoutenir leur crédit par l’apparence d’un Commerce univerſel.

    Les Portugais & les Hollandois ſont dans le premier cas ; le ſecond s’applique naturellement aux Anglois : & comme les François ne ſont ni dans l’un ni dans l’autre, je penſe que les Établiſſemens de l’Inde & le Commerce qu’on y fait, ne ſont pas à la France d’une utilité réelle. J’ajoute qu’ils lui font même onéreux ; car un Commerce de vingt à vingt-cinq millions par an peut faire un objet pour un Peuple peu conſidérable, ſurtout s’il eſt excluſif comme celui des Hollandois à Ceilan, à Batavia : mais à peine fera-t’il ſenſation dans un Royaume comme la France ; tandis que s’il eſt attaqué par une Nation puiſſante, l’appareil de défenſe ſera auſſi couteux que pour un objet de la derniere conſéquence,