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LE BOUTE-CHARGE

terie passaient en désordre, et se retiraient. Vous dire ce que c’était que cette plaine jonchée de cadavres, couverte de chevaux qui se sauvaient, sans cavaliers, de caissons éventrés, de canons abandonnés, c’est une chose que je ne veux même pas essayer. En y songeant, je sens de la sueur sous mes cheveux. Et puis, ça me ferait pleurer encore ; c’est trop bête…

J’étais tout à ma forge, ce qui ne m’empêchait pas de jeter un coup d’œil autour de moi. Le long de l’unique rue, le régiment était pied à terre, pour laisser reposer les bêtes éreintées. Quand je dis le régiment, je me trompe : il n’y avait que deux escadrons avec le colonel ; les deux autres étaient postés en arrière. Que faisions-nous là ? Personne n’en savait rien. Le colonel, sur son cheval, contemplait la bataille ; il fronçait le sourcil, regardait à chaque instant sur la route, comme s’il eût attendu quelqu’un. Un moment, la canonnade redoubla ; la retraite des nôtres parut s’accentuer. Il eut alors une crispation de tout son corps, et un seul mot fit explosion sur ses lèvres : « Nom de Dieu ! »