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LE SANG

mes sens pouvaient à peine supporter, tant l’impression en était divine.

La terre, douce et féconde, enfantait sans douleur. Les arbres à fruit croissaient à l’aventure, et des champs de blé bordaient les chemins, comme font aujourd’hui les champs d’orties. On sentait dans l’air que la sueur humaine ne se mêlait point encore à la brise. Dieu seul travaillait pour ses enfants.

L’homme, comme l’oiseau, vivait d’une nourriture providentielle. Il allait, bénissant Dieu, cueillant les fruits de l’arbre, buvant l’eau de la source et s’endormant le soir sous un abri de feuillage. Ses lèvres avaient horreur de la chair ; il ignorait le goût du sang et trouvait de saveur aux seuls mets que la rosée et le soleil préparaient pour ses repas.

C’est ainsi que l’homme restait innocent et que son innocence le sacrait roi des autres êtres de la création. Tout était concorde. Je ne sais quelle blancheur avait le monde, quelle paix suprême le berçait dans l’infini. L’aile des oiseaux ne battait pas pour la fuite ; les forêts ne cachaient pas d’asiles dans leurs taillis. Toutes les créatures de Dieu vivaient au soleil, ne formant qu’un peuple et n’ayant qu’une loi, la bonté.

Moi, je marchais parmi ces êtres, au milieu de cette nature. Je me sentais devenir plus fort et meilleur. Ma poitrine aspirait longuement l’air du ciel et j’éprouvais, quittant soudain nos vents empestés pour ces brises d’un monde plus pur, la sensation délicieuse du mineur remontant au grand air.