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LE SANG

roulait dans l’orgie avec des éclats de plus en plus furieux. Elle foulait aux pieds ceux qui tombaient, et faisait rendre aux blessures la dernière goutte de sang. Elle haletait de rage et maudissait le cadavre, dès qu’elle ne pouvait plus en arracher une plainte.

La terre buvait, buvait avidement ; ses entrailles n’avaient plus de répugnance pour la liqueur âcre et nauséabonde. Comme l’être avili par l’ivresse, elle se gorgeait de lie.

Je pressais le pas, ayant hâte de ne plus voir mes frères. Le noir chemin s’étendait toujours aussi vaste à chaque nouvel horizon, et le ruisseau que je suivais semblait porter le flot sanglant à quelque mer inconnue.

Et comme j’avançais, je vis la nature devenir sombre et sévère. Le sein des plaines se déchirait profondément. Des blocs de rocher partageaient le sol en stériles collines et en vallons ténébreux. Les collines montaient, les vallons se creusaient de plus en plus ; la pierre devenait montagne, le sillon se changeait en abîme.

Pas un feuillage, pas une mousse ; des roches nues et désolées, la tête blanchie par le soleil, les pieds noirs et humides dans l’ombre. Le chemin passait au milieu de ces roches, silencieux et désert.

Enfin il fit un brusque détour, et je me trouvai dans un site funèbre.

Quatre montagnes, s’appuyant lourdement les unes sur les autres, formaient un immense bassin. Leurs