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SŒUR-DES-PAUVRES

heures, et se chargea des soins domestiques ; non pas qu’elle balaya et lava, comme aux jours du malheur, car ce n’était une besogne de sa force que d’entretenir en propreté un aussi vaste logis ; mais elle surveilla les servantes, elle n’eut aucune fausse honte à les aider dans leurs travaux de laiterie et de basse-cour. Elle était bien la jeune fille la plus riche et la plus active de la contrée, et chacun s’émerveillait de ce qu’elle n’eut point changé en devenant grosse fermière, sinon qu’elle avait les joues plus roses et le cœur plus gai au travail. « Bonne misère, disait-elle souvent, tu m’as appris à être riche. »

Elle songeait beaucoup pour son âge, ce qui l’attristait parfois. Je ne sais comment elle s’aperçut que ses gros sous lui devenaient de peu d’utilité. Les champs lui donnaient le pain, le vin, l’huile, les légumes, les fruits ; les troupeaux lui fournissaient la laine pour les vêtements, la chair pour les repas ; tout s’offrait à ses entours, et les produits de la ferme suffisaient amplement à ses besoins, ainsi qu’à ceux de ses gens. Même la part des pauvres était large, car elle ne donnait plus aumônes d’argent, mais viande, farine, bois à brûler, pièces de toile et de drap, et se montrait sage en cela, offrant ce qu’elle savait nécessaire aux indigents, et leur évitant la tentation de mal employer les sous de la charité.

Or, dans cette abondance de biens, plusieurs tas de gros sous dormaient au grenier, où Sœur-des-Pauvres se chagrinait de les voir occuper la place de vingt à